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lundi, 22 avril 2013

DANS LE VENT

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Vous n’arrivez jamais à retrouver la coupe que vous avez en sortant de chez un coiffeur. Le lendemain tout redevient difforme et vous vous trouvez plus que stupide lorsque vous repensez au moment où il vous a demandé si ça vous plaisait, et où sur le coup vous avez répondu oui parce que pendant une heure il vous aura touché le crâne et connu plus intimement que personne. Dire « mais non c’est vraiment affreux! », c’est déjà stupide parce que c’est trop tard et que vous n’allez pas opter pour les mèches. Et puis, c’est aussi cruel parce que c’est comme dire à un ami à qui on vient de se confier que la façon dont il traite vos problèmes est moche et qu’il aurait pu afficher une autre expression pendant ce moment là.

Leur secret, à ces escrocs, c’est le produit qu’ils vous mettent sur la tête.

Grâce à celui-ci, vos cheveux ne bougent jamais et vous avez vraiment l’impression que ni la pluie, ni le vent, ni même le tremblement de terre ne pourra perturber le résultat obtenu. Oui, j’ai fait partie de ces personnes qui ont acheté 30 euros la lotion que les coiffeurs appliquent une fois leur travail accompli. Je mets ça tous les matins, fier et persuadé que ma chevelure résistera à n’importe quel tsunami.

On se procure la mixture dans ces salons qu’on connait bien, ces salons « exotiques » qu’on a eu la chance de fréquenter lors de notre enfance. A cette époque, on trouvait le jeu de mot présent sur la devanture rigolo, les posters de jeunes mariées ayant l’air de vouloir montrer leur dents à tout prix ne nous effrayaient pas et les catalogues célébrant l’âge d’or du bodybuilding nous donnait presque envie de rester plus longtemps.

En y pénétrant, je repense au temps où les enfants s’envoyaient encore des « t’es cassé! », où j’étais persuadé qu’on regardait Alerte à Malibu parce qu’ils arrêtaient toujours les méchants ou pour le jeu d’acteur formidable d’Hasselhoff. A 13 ans, je savais que la notoriété de la série reposait sur le chirurgien de Pamela, je décidai de ne plus rien couper et d’écouter du métal parce qu’il fallait avoir les cheveux sales et longs. Lorsque j’eus atteint la majorité, je compris rapidement qu’on ne pouvait ni obtenir un autre emploi que bénévole au Hellfest, ni avoir de relation sexuelle avec des êtres vivants si on conservait la mèche grasse. Je poussai donc la porte de Tiff’anie, mon courage et ma première carte de crédit en main, prêt à m’acheter 3 pots de colle pour cheveux.

Mais seulement les coiffeurs sont des menteurs.

Pendant des années, dès que le vent se mettait à souffler, j’arpentais les rues de ma ville la crinière d’un lion sans en avoir la carrure. Mes cheveux en imposaient dans le mauvais sens du terme et même la brise de la laque ne pouvait m’empêcher d’avoir l’air de quelqu’un ayant laissé sa mère se charger du boulot ou ayant eu le courage d’entrer dans le genre de salon sur lequel on tombe, perdu, alors qu’on était parti s’acheter un pyjama chez Tati.

Dans le vent, je ne suis pas un lion, ni une feuille qui se laisse porter, je ne suis pas non plus un albatros qui surplombe tout ce qui se passe en bas. Dans le vent, moi je suis un pigeon, pigeonné par l’industrie capillaire et par le bagou des coiffeurs de mon quartier.

A présent, je vis à Londres. J’ai d’abord choisi les salons « branchés ». Ceux où les coiffeurs ont l’air de travailler part time chez Topshop, où la musique est tellement forte que les clients sont forcés d’accepter n’importe quoi et où le pourboire est obligatoire s’ils espèrent un compliment après avoir enduré le concert. Puis à force de passer devant en rentrant chez moi, j’ai opté pour un de ces nombreux salons, tenus par des indiens, fréquentés par des indiens, avec des devantures multicolores et l’odeur des frites du fast food adjacent. Ici, j’ai retrouvé les portraits aseptisés sur lesquels je louchais en France associés à une bande son Bollywood.

La coiffeuse ménagère de moins de 50 ans et sa stagiaire shampooineuse avaient disparu et un homme posté comme un boss sur son divan rouge vif donnant des indications à son petit-fils blasé l’avaient remplacé. Après avoir observé l’endroit dans mon coin, et, ayant compris comment le bordel fonctionnait, j’ai filé 6 pounds au grand pimp et j’ai demandé la coupe au bol.