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La première fois que j’ai rencontré Jasmin, c’était il y a presque deux ans, à la réunion pour le festival Comme Nous Brûlons (dont l’équipe de Retard et lui font partie). Il avait eu l’affront de rapporter du jus de carotte. Sans déconner, qui ramène ça ? Et pire, qui boit ce machin ? Au fur et à mesure, on a appris à se connaître, et j’espère, à s’apprécier. On avait finalement des passions communes : le karaoké, parler fort, faire des trucs, jouer avec les chiens. Jasmin est de plus beaucoup plus charismatique et occupé que la quasi-majorité des personnes que je connais, et ça n’a étonné personne quand il a parlé de la réalisation d’un documentaire sur lui, centré sur une autre de ses passions, le roller derby.
La série, réalisée par Camille Ducellier (dont le travail est dingue, la preuve ici) est maintenant terminée, mais elle est tellement super qu’on se devait d’en parler, même en retard (roulement de caisse claire). Jasmin et Camille ont eu la gentillesse de répondre à nos questions et on ne saurait que trop vous conseiller pour appuyer cette lecture de mater la série dans son intégralité, chez vous ou ailleurs, avec vos potes, vos parents, vos partenaires. Par contre faites-le sans boire de jus de carotte, parce que ça c’est vraiment pas bon.
Comment avez-vous fait connaissance ?
Camille : J’ai rencontré Jasmin dans un atelier d’astrologie que j’animais au printemps dernier. Quelque temps après, j’ai discuté avec le producteur de la série, Romain Bonnin, qui m’a invité à faire une proposition libre autour du genre avec une perspective pédagogique. J’ai pris un café avec Jasmin et en échangeant, on a parlé de sa passion pour le roller derby : ça nous a semblé très cohérent comme point de départ. Alors que j’étais auparavant partie sur une série chorale, Jasmin a fini par être le fil conducteur.
Est-ce que vous sentez que le sujet du genre intéresse de plus en plus les producteurs ?
Camille : Oui, en effet, c’est devenu une question de société incontournable. Toutefois Romain Bonnin est sincèrement intéressé et convaincu de la nécessité de ces réflexions. Nous nous sommes rencontrés durant un hackaton et nous avons co-écrit IEL, un court film en réalité virtuel qui propose d’être plongé dans les souvenirs d’un garçon trans. De cette rencontre autour d’une collaboration initiale, nous avons évolué vers un binôme producteur/auteure pour inventer d’autres projets.
Pourquoi avoir choisi de se concentrer sur la “facette” derby de Jasmin ?
Jasmin : Au moment du tournage, j’étais plus focalisé sur le derby. J’avais laissé mon collectif artistique de côté, j’avais arrêté de bosser en cuisine et je ne faisais plus de musique.
Camille : La série propose une immersion documentaire, c’est donc à un instant T de sa vie. Suivre la saison sportive de son équipe de roller derby nous paraissait évident et cohérent.
Jasmin : C’est un sport qui réunit beaucoup de milieux, des meufs, des gouines, des trans, des hétéras. C’est de plus un sport inclusif, politique et féministe. On est vraiment connectées les unEs avec les autres, où tu fais unité, comme dans le militantisme. Mawah le dit aussi dans un épisode : “c’est un outil de déconstruction”. Si tu écoutes la plupart des personnes qui sont rentrées dans le roller derby et qui n’étaient pas politisé.e.s, deux ou trois ans après, ça leur a apporté du militantisme, du féminisme, de la sororité, elles ont checké leurs privilèges, leurs oppressions et ont gagné beaucoup d’empowerment et de confiance en elles. C’est aussi un sport où tu apprends à recevoir des coups, à en donner.
Camille : Je ne connaissais pas avant le roller derby et dès le premier match, j’ai été très étonnée de l’enthousiasme, de l’engouement du public et de l’énergie qu’il y a sur le track mais aussi dans le stade. J’ai trouvé ça très touchant et très féministe de soutenir dans notre énergie une personne qui va s’extraire d’un groupe de blockeuses. Comme le dit Julia dans la série, c’est un sport que l’on pratique avec son corps : on défend sa place avec, on trouve un territoire avec, c’est une dynamique intéressante.
Jasmin, pourquoi avoir accepté ce projet ?
Jasmin : Le feeling est très bien passé avec Camille, j’ai senti que c’était quelqu’un de bienveillant, on avait les mêmes discours, et je lui ai fait confiance. Je n’ai pas du tout pensé aux répercussions que ça pouvait avoir et au fait que j’allais m’exposer. C’est en tournant la série que je me suis rendu compte des risques. Je dois me protéger. C’est difficile quand on te critique toi, ton identité, qui tu es, et qui est de plus l’identité de toute une communauté, de se reprendre toute cette transphobie, c’est pas évident à gérer. Une transition serait plus facile si tout le monde arrêtait d’y mettre son grain de sel. J’essaie de ne pas tenir compte des “haters” et de faire abstraction. Après, je suis hyper soutenu et bien entouré. Au final, il y a des avis très positifs, ça a laissé un impact sur beaucoup de personnes et j’ai reçu plein de messages hyper mignons. C’était le but de faire réfléchir.
Est-ce que vous avez l’impression que les trans FtoM (female to male) ou FtoX sont sous-représentés ?
Jasmin : Je pense que les trans de manière générale sont sous représenté.e.s. Il n’y a pas qu’une forme de transidentité, la transidentité est plurielle et propre à chacunE. Les parcours le sont aussi. Je ne m’identifiais pas à la plupart des représentation que j’avais vu jusqu’à maintenant.
Camille : La majorité des films sur les transidentités sont réalisés par des personnes cisgenres qui ne sont pas forcément féministes et/ou queer, donc ça peut créer des types de récits un peu récurrents. Je suis une meuf cis et je me suis posée beaucoup de questions pendant le process et je m’en pose encore. Toutefois c’est vraiment autour de nos valeurs féministes-queer qu’on s’est retrouvés avec Jasmin et j’ai essayé de prendre en compte au maximum les retours de mes potes trans et queer. Jasmin et June ont veillé au grain ! On a aussi essayé de déjouer une forme de voyeurisme, comme avec à l’épisode 2, quand Jasmin dit “_Tu veux aller jusqu’au bout ?_Mais tu me parles du bout de quoi ?”.
Jasmin : Souvent, on déshumanise la personne : on la présente comme un patient, un malade, qui a besoin de se faire soigner.
Gender Derby est bien chapitré : aviez-vous une ligne, des sujets à aborder ou avez-vous été surpris par les images récupérées après tournage ?
Camille : Il y a des thèmes dont on a discuté au fur et à mesure et on a divisé le tournage en deux temps. Entre les deux, j’ai commencé le montage et on a donc pu ajuster des choses qui paraissaient manquer. Par exemple, je me suis dit que c’était plus simple de construire la série autour de Jasmin comme fil conducteur en ajoutant un autre personnage en ramification par épisode pour apporter d’autres voix, d’autres approches. Donc pas tant des chapitres thématiques, que des ramifications vers des personnages secondaires.
On parlait tout à l’heure de pédagogie : qu’est ce que vous aviez envie de passer comme message ?
Camille : Même si on a essayé avec Jasmin d’être dans une forme de transmission et d’accessibilité, on ne voulait pas non plus enlever des mots ou mettre des explications partout. On a donc séparé la question en deux : d’un côté, l’immersion documentaire dans Gender Derby, et de l’autre, j’ai co-réalisé une autre série pedagogico-queer avec Florentin Morin, Genre le Genre, centrée sur dix mots clés expliqués par des personnes de la communauté queer. Ça crée une circulation entre les deux séries. Quand quelque chose t’échappe dans Gender Derby - du type “passing”, “cisgenre”-, tu peux trouver certaines réponses dans Genre, le genre.
Le format est court, la problématique vaste : est-ce que vous avez eu des angoisses de mal retranscrire certains discours, de modifier le message dans le montage ?
Camille : Le tournage m’a paru assez fluide, mais le montage a été vraiment très difficile pour moi. C’est un 55mn mais ce n’est pas un long métrage divisé en chapitres, ni des courts-métrages à la suite, donc compliqué à tricoter. C’est une série avec deux trames qui sont Jasmin et la compétition des Nasty, et ce n’était pas évident de trouver la bonne articulation pour les mettre en parallèle.
Est-ce que Gender Derby ressemble à ce que vous aviez tous les deux en tête ?
Jasmin : Je ne savais pas ce que je voulais, mais je savais ce que je ne voulais pas. Je suis content du résultat et les images sont super belles. Par rapport à moi, oui, il y a des choses que je referais. C’était très dur de se voir à l’écran. Je suis maintenant à un stade de ma transition où soit je ne suis plus d’accord avec des choses que j’ai dit dans la série, ou j’ai envie d’aborder d’autres thématiques parce que je vis de nouvelles choses. Une transition n’est jamais fixe, je crois qu’il faudrait 10 saison pour tout expliquer !
Camille : Personnellement, j’étais déjà contente d’arriver au bout du montage et du travail avec mon équipe, Camille Langlois (chef op’) et Louise Abbou (ingénieure du son). C’est hyper rare d’avoir une équipe de meufs sur un tournage et d’avoir aussi une musique originale réalisée par une femme (ici Isabelle Moricheau). Le vertical nous a aussi stimulé : on est tellement habituées à bosser avec l’horizon et à penser les choses avec l’histoire du cinéma comme poids. Là, c’est devenu ludique, et on en a joué, en continuant avec les splits screens, les éclatements de l’écran.
Jasmin : du coup tu as aimé le format vertical ? Tu penses le réutiliser sur un futur projet ?
Camille : Je pense que le vertical te fait revenir à l’essence même du travail sur l’image. Tu repenses tout différemment. Avec Camille Langlois, notre prochain projet sera surement en vertical, oui.
Jasmin : Important ! Il faut regarder la série avec un casque et sur un smartphone ou tablette. C’est beaucoup plus intime et tu te retrouves vraiment immergé dans le docu.
Camille : C’est aussi étrange d’avoir un objet qui contient le format. Quand les filles font du roller, elles sortent littéralement du cadre et en vertical, tu es toujours en bord cadre, tu filmes des tranches du réel. Pour les questions queer, c’est intéressant. Les gens sortent, rentrent, ils sont à moitié dedans. A la fin, le dernier plan est de biais et c’était important pour moi. Tu obliges la personne à changer son regard et à tourner un peu la tête. Avec les nouveaux supports, tu peux impliquer le corps du spectateur qui est moins passif que dans une salle de cinéma.
On vous a fait revenir sur des trucs une fois que Gender Derby était terminé ?
Camille : Les diffuseuses (qui sont deux femmes) ont été top, elles m’ont laissé une grande liberté que ce soit sur le fond que sur la forme. Ceci dit, il y a une chose qui a été très difficile pour moi à accepter, c’est que j’ai du mettre une phrase de “santé publique” liée à la prise de testostérone : ”la prise de substance hors protocole et hors suivi médical est dangereuse pour la santé”. Je pense qu’en France, on est particulièrement frileux par rapport aux aiguilles.
Jasmin : Je pense que ce qui fait peur dans la prise de testo, c’est la seringue. Je pense que dans la tête des gens il y a un espèce de lien seringue = drogue, par exemple comme avec l’héroïne. Avec la T (ndlr : testosterone), si tu fais ça bien et que tu es suivi, il n’y a pas de problème. La pilule est aussi des hormones sauf que ça s’administre par cachets. On accepte de la prescrire sans problème à des femmes cisgenre, alors qu’on connaît les effets secondaires qu’ont eu certaines d’entre elles. J’ai des copines qui ont le corps bousillé. La T n’est pas plus ou moins dangereuse alors que c’est le parcours du combattant pour s’en faire prescrire. Dans un parcours officiel, les trans doivent être suivis pendant minimum deux ans par un psychiatre qui atteste s’ils sont atteints de ‘transsexualisme’, primaire, secondaire… On reste dans une vision très binaire des genres. Perso je ne me considère pas comme un homme trans. Je suis trans, je ne veux pas de barbe, j’aime mettre du vernis et aller à la salle de muscu. Il faut sortir de ces stéréotypes de genre et évoluer. En 2018 le fait d’être trans est encore considéré comme un trouble mental. Nous sommes perçus comme des “patients’ (donc malades) et non comme des “personnes”. Il faudrait arrêter de nous stigmatiser, ça rendrait l’acceptation des personnes trans plus facile au sein de notre société.
Tes proches, qui apparaissent à l’écran, ont été contents du résultat ?
Jasmin : Oui, je crois que tout le monde est content. Dans mon équipe de derby, on a toutes des féminismes différents, et parfois elles me comprennent pas forcément et me perçoivent comme une personne très radicale. Beaucoup sont venues me voir et m’ont dit qu’elles avaient compris plein de choses, qu’elles ne se rendaient pas compte de ce que je vivais, et ça m’a fait beaucoup de bien. Parfois c’est difficile d’expliquer des choses à des gens qui ne sont pas du milieu queer et/ou qui ne sont pas militantes. J’attendais beaucoup de la série : j’arrive à un point de ma transition où j’en ai marre d’expliquer les choses, c’est très fatiguant, déjà que c’est pas forcément facile avec ce qu’on se prend de la part de la société et du monde qui nous entoure. La série existe, elle va expliquer et faire le taf.
Il y a quelque chose que vous avez oublié de dire ?
Camille : Il ne faut pas oublier aussi le sexisme très présent dans l’industrie cinématographique autant du côté de la composition des équipes que de la représentation des personnages à l’écran. C’était pas si simple de composer l’équipe et de proposer du travail à des femmes, notamment en son et post-prod son, parce qu’on manque de relai, faut vraiment faire la démarche de chercher : avec qui vas-tu travailler ? Comme faire pour être inclusive dans ton projet ? Ça demande de prendre beaucoup de dimensions en compte et de voir déjà ce qu’on peut faire chacun.e à son échelle.
Jasmin : Les trans c’est le Turfu !