Je n’arrive plus à écrire. Un problème dans ma vie puisque je suis journaliste. Impossible de me mettre derrière mon écran dans l’idée de noircir une page Word. J’ai même une légère angoisse à l’idée d’ouvrir l’application et de me retrouver face à une feuille blanche. Aujourd’hui, j’ai peur d’ouvrir Word !
Avant ma nouvelle phobie des mots, j’ai écrit des kilomètres d’articles, de brèves, d’interviews, sur des choses plus ou moins futiles dont je suis plus ou moins fière. Mais j’écrivais tous les jours. Dans les deux rédactions que j’ai fréquentées, j’écrivais en moyenne quatre articles par jour. J’arrivais souvent à mon bureau sans avoir la moindre idée de ce sur quoi j’allais écrire. Tous les jours de la semaine pendant quatre années je me suis retrouvée devant une page vierge sans me poser de questions sur mes capacités, sans douter de ma légitimité. Si je fais le calcul, j’ai écrit à peu près 1000 papiers.
Alors qu’est-ce qui a changé ? Le chômage. Depuis six mois, vous cotisez pour mes indemnisations. Mon dernier contrat était un CDD, je savais donc à quoi m’attendre. On m’a annoncé trois mois avant la fin que je ne serais pas renouvelée. J’ai un peu flippé mais vite, l’idée que j’allais pouvoir prendre du temps pour moi m’a rassurée. Mon plan : piger. Taper à toutes les portes et montrer de quoi j’étais capable.
J’étais pleine de bonne volonté, déterminée et optimiste. Beyoncé style. Un peu comme toi à J-1 de ton départ en vacances au Lavandou. Avant le départ, c’est l’insouciance, tu penses à tout ce que tu vas enfin pouvoir faire, loin du stress. Dans mon cas et dans l’ordre d’importance : Dormir. Faire des expos (en semaine j’entends). Voir davantage tes potes. Lire. Rattraper mes séries en retard. Aller à la piscine (c’est gratuit pour moi). M’occuper de moi et profiter. Et donner le meilleur dans des sujets que j’aurais choisis, sans trop de pression.
Mais le chômage, c’est un peu comme ton voyage sur l’A6 en plein chassé-croisé des grandes vacances : tu déchantes très vite. D’abord ça dure plus longtemps que tu l’avais prévu. Au début, tout roule comme tu veux. Et puis tu commences à ralentir. T’es pas la seule sur le coup. C’est bouché. Mais tu gardes la foi, avec Nostalgie à fond les ballons (chez moi, pour pas allumer la télé, j’écoute France Info et Nostalgie). Je vais pas te décrire les différentes phases de mon chômage, le magazine Vice l’a déjà fait mieux que moi ici en décryptant la psychologie d’un chômeur lambda. TOUT EST VRAI. Quand je l’ai lu au début, j’ai ri. Maintenant un peu moins.
Les premiers mois, j’ai réussi à garder un rythme. J’ai écrit trois articles. Deux commandes et un sujet libre. Les trois sont dans la nature, en attente de validation ou de publication. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à perdre pied. À perdre confiance en moi en fait. Mes papiers sont soumis au bon vouloir des différents chefs de rubrique. Et dans ma tête, c’est comme si moi aussi j’étais en stand-by.
Bon mais tout n’est pas perdu non plus. Mon problème ce n’est pas tant la partie créative. Des idées, j’en ai plein. Mais dès qu’il faut passer à l’action, toute ma bonne volonté part en fumée. J’angoisse à l’idée de proposer mes services. De ne pas être à la hauteur. De décevoir. De sortir quelque chose de moi qui soit inintéressant. C’est devenu un cercle vicieux. Je suis tellement perdue que je ne suis plus sûre d’être faite pour ce métier. Et si j’étais nulle en fait ?
L’enfer du chômage
J’ai lu que les perfectionnistes avaient ce genre de problèmes. Ils veulent tellement bien faire, se mettent tellement la pression pour que leur production soit parfaite tout de suite qu’ils abandonnent avant même d’avoir essayé. Je ne sais pas si je suis perfectionniste mais je me suis retrouvée dans cette description. Mon envie de faire trop bien me paralyse. J’en suis à un point où j’ai même peur de retrouver un boulot et d’être incapable d’écrire à nouveau.
Objectivement, écrire m’a toujours coûté. Je suis admirative devant les gens qui enchainent les articles, qui jonglent entre cinq titres en même temps. Ça n’a jamais été naturel chez moi. Mais comme toute activité, j’ai acquis des automatismes avec la pratique. J’aime ça mais je n’ai jamais eu d’illumination créative. Un graphiste rencontré via Retard m’a conseillé un livre super : « Psychologie pour les créatifs/Survivre au travail ». Dès le début, l’auteur explique qu’il est plus facile d’avoir des idées que de les rendre concrètes. Que leur réalisation est « le plus grand défi de la créativité ! ». Ouais. J’en suis là. Le dernier chapitre titré « Travailler… et ne pas travailler » n’est même pas arrivé à me faire déculpabiliser.
J’en suis venue à développer une sorte de fascination malsaine pour les journalistes, pigistes et collaborateurs des journaux que je lis. Surtout les meufs. Je me compare et forcément leurs écrits (et leurs vies) sont mieux. Bon en même temps c’est pas dur puisqu’ils produisent des textes et moi pas ! On pourrait croire aux effets bénéfiques de ce genre de comportement. Au contraire. Je me sens encore plus débile.
En essayant de comprendre mon blocage, je me suis rendue compte que je me mettais la pression. Pourquoi ? Parce que je ne corresponds pas au prototype des nouvelles winneuses de la génération Y. Je n’ai pas envie d’une carrière à la Beyoncé. Je ne veux pas tout sacrifier pour un boulot. Je ne suis pas une slasheuse DJ/journaliste/styliste/blogueuse/consultante/WonderWoman. Je ne commente pas l’actu sur Twitter, je ne sais pas comment ça marche. Je ne suis pas hyper connectée. J’aime faire des gâteaux pour mon mec. J’aime ne rien faire.
En gros j’ai l’impression de ne pas correspondre à cette nouvelle catégorie de féministes pop qui a soif de tout, qui veut tout et qui cartonne. C’est comme si j’étais en décalage. J’envie toutes ces meufs qui respirent la win attitude et s’en donnent les moyens. J’aimerais leur ressembler. Mais il va falloir se faire une raison et arrêter de culpabiliser : ce n’est pas moi. Ça ne veut pas dire qu’il faut que je végète dans ma dépression de l’écriture hein. J’ai un minimum d’ambition : gagner un salaire correct et être indépendante financièrement. Tout simple. Merci à Mamie de me l’avoir répété petite.
Bon c’est à ce moment-là que tu me dis que là, j’ai écrit non? Ouais. Et je ne sais pas comment j’ai fait. Ce qui a rendu la chose plus facile c’est que j’avais la première phrase. C’est bête mais pour moi c’est plus facile. J’espère aussi secrètement que ce texte soit un déclencheur. Qu’il soit le premier d’une nouvelle (et longue) série. Il faudra bien. Pôle Emploi ne m’a pas encore aidée dans ma recherche d’emploi. Évidemment. Il a fait mieux : il a calculé pour moi ma date de retraite. J’ai des pages d’écriture qui m’attendent jusqu’au 1er décembre 2047. Joie dans mon cœur.