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jeudi, 13 juin 2013

LE JEAN DE L’INFAMIE

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Quand j’ai pris conscience que les rares textes que j’avais déjà écrits pour ce blog parlaient d’alcool, je me suis dit qu’il était temps d’aborder le whisky. C’est à lui que je dois mon dépucelage de gueule de bois et jusqu’à ce que je découvre que le rhum me détruisait les neurones mais m’épargnait le mal de crâne, c’était à peu près la seule chose que j’aimais boire. Et puis depuis que j’ai fait le test des vies antérieures du magazine Nostra, je suis persuadé d’avoir été américain dans une vie précédente (j’ai aussi dû être chips, à un autre moment).

J’ai un peu plus d’une dizaine de brouillons de textes inaboutis sur le sujet, dont la plupart font référence à des écrivains ricains qui ont un penchant pour les flingues et la Famous Goose et qui, allez savoir pourquoi, sont taillés comme Matthew McConaughey.

Ça me fascine, cette déferlante de corps musclés que l’Atlantique déverse en permanence sur le vieux continent. J’ai laissé tomber tous ces textes en m’autoconvaincant de leur inutilité (je me laisse très facilement convaincre), ai envisagé quelques secondes de travailler sur les sécrétions (décrire le type de selles occasionnées par le whisky et aborder le débat délicat du « caca sur le lieu de travail »), ai réalisé que j’avais plein de choses à dire à ce sujet mais que le monde et moi n’étions peut-être pas prêts à en discuter aussi ouvertement et j’ai fini par tomber là-dessus.

J’ai croisé une blogueuse mode, un jour. En vrai. Son dédain, son mec et elle étaient venus chercher un chèque de plusieurs milliers d’euros pour avoir porté un jean. Un tour de force dont je ne me suis toujours pas remis. Le fait que des personnes vivent confortablement de ce qu’elles aiment pendant que je vivote de choses qui ne me plaisent qu’à moitié ne me dérange pas outre mesure, même si « ce qu’elles aiment » consiste à recevoir des produits gratuits et à en dire du bien en feignant la sincérité auprès de personnes qui leur font confiance. Dans une dictature utopiste digne de ce nom, le coupable d’un tel crime serait contraint de brader toute sa garde-robe avant d’écoper de six mois de sapes CA avec sursis, mais passons.

Ce qui me flingue dans ce procédé, qui pourrait passer pour une simple entente entre la blogueuse et les marques, c’est l’hypocrisie qui implique tous les maillons de la chaîne qui relient les deux extrémités qu’on voit.On sait que les marques sont d’immondes créatures capitalistes, des monstres d’argent liquide à l’appétit jamais rassasié et on sait surtout que la logique de notre système économique veut qu’elles soient en croissance constante. Or, pour faire plus de thunes que l’année précédente, les choix doivent osciller quelque part entre dépenser moins et gagner plus.

J’imagine que si j’avais eu l’idée de faire un blog au début des années 2000 plutôt que d’essayer de fonder un groupe de power-pop à deux batteurs et que des marques que je respecte me filaient du blé pour que je parle d’elles, ça ne me dérangerait pas tant que ça. Avec le temps, je me serais probablement rendu compte que si l’argent ne fait pas le bonheur, c’est quand même un luxe non négligeable de ne pas se préoccuper de son compte en banque et j’aurais à l’occasion vanté les mérites d’un produit dont je me fous, puis d’un que je n’aime pas.

Mais sur le sujet, les blogueuses mode sont loin d’être les plus malhonnêtes et si on a pu un peu leur faire confiance au début, leur prolifération et le nombre d’articles sponsorisés/jeux concours de plus en plus nombreux est la démonstration de leur modèle économique. Ce sont des « créatrices de contenu » comme les autres et certains journalistes et sportifs professionnels fonctionnent de la même manière. C’est quand ces personnes s’adressent à un public de niche fidèle que le problème s’aggrave. J’ai connu une fille qui bossait dans un féminin et qui recevait tellement de cadeaux qu’elle ne savait plus quoi en foutre : sa sœur, sa mère et toutes ses potes croulaient sous les pots de crèmes de jour et son mec devait avoir, genre, trois tondeuses (rajouter une blague). Elle était plus riche en soins exfoliants qu’en euros.

Depuis que les boissons énergisantes ont décidé de venir emmerder les sports de glisse pour se faire de la maille, la plupart des « gros noms » du milieu ont cédé aux sirènes du cash et des hélicos gratuits. Presque tous les snowboarders et surfeurs de compétition ont quelques stickers Rockstar ou un bonnet Monster qu’ils portent en permanence, même des riders respectables comme Dion Agius et, disons, Travis Rice.

Pourtant, la plupart de ces mecs ont une vie beaucoup plus saine que la mienne (ce qui n’est pas non plus un exploit), se couchent tôt, ne boivent que de l’eau ou des boissons énergisantes recommandées pour les sportifs. Certains sont des putain de vegans qui font du yoga, sans déconner. Mais bon, j’imagine que pour faire de l’hélico gratuit à vie partout dans le monde, on est prêt à quelques sacrifices.

Entre ces deux maillons, donc, on trouve la pire organisation jamais engendrée par notre société moderne : l’agence. Une nébuleuse d’entreprises remplies de gens qui auraient pu avoir des idées mais qui ont préféré faire des slides. Dans tous les bureaux de toutes ces agences dont le fond de commerce et de rappeler à leur client qu’elles leur sont indispensables, vous trouverez un dossier qui doit s’appeler « newcomers » ou « trendsetters », ça dépend. Une présentation de plusieurs dizaines de pages dans laquelle sont compilés les « talents de demain » et qu’on pourra sortir en toutes occasions, pour toutes les marques, pour tous les projets. Ce fabriquant de berlines pour CSP++ n’a pas aimé l’idée de ces jeunes danseurs urbains qui dansent en dessinant son logo avec de la peinture fluorescente ? Proposons à cette marque de cosmétique une chorégraphie de ces mêmes jeunes au cours de laquelle ils se shampooinent (j’avais jamais vu ce mot écrit avant, ça fait un choc). Ces dossiers mis à jour par des stagiaires en fin de contrat sont remplis de noms que leurs supérieurs ne connaissent même pas, ou dont ils n’ont rien à foutre. Quelque part entre les slides « comédiens » et « groupes de musique », il y a donc la slide blogueuse mode.

Les agences qui ne s’intéressent pas vraiment à ce qu’elle fait la proposent à une marque pour lui prouver qu’elles « sont dans le coup » et après tout, elle serait sans doute bête de ne pas en profiter.En résumé, ces personnes qui n’ont rien à foutre d’un produit sont contactées par une agence qui n’a rien à foutre de leur existence qui a proposé à une marque dont elle se fout de faire appel à elle dans le but de promouvoir cette marque qui n’a rien à foutre de ces personnes auprès d’un public qui se fout d’elle. Tout le monde se fout plus ou moins de tout le monde, la blogueuse mode empoche quelques biffetons, l’agence encaisse un petit pourcentage, de temps en temps quelques lecteurs ou lectrices se font rouler et tout le monde est content.

Et dans cette absurdité confondante, plutôt que de s’acharner sur celles qui ont eu la bonne idée d’être les premières Françaises à révéler publiquement qu’elles aimaient les cupcakes, il faut sans doute mieux s’en prendre à ces monstres sans visage que sont « les agences ». Bouh, les agences.Et si un jour je vois un papier sur ce blog magazine qui vante les mérites des nouveaux Levis et qui me fait croire que c’est sincère, je vide mon compte en banque, j’en imprime cent-cinquante exemplaires, je les numérote, je monte un réseau de distribution à l’échelle régionale, je les rachète tous et je me torche avec.

Maxime

Maxime a 26 ans et un petit gilet avec des notes de musique. On l'a rencontré avec Ophélie à une fête chez Loïg, avec son frère Clément et son pote Manu. Rien à signaler jusqu'à ce que les mecs nous montrent du PAPIER MAGIQUE, un truc taré qui prend feu et qui disparait d'un coup. Depuis, on traine pas mal ensemble, et on doit avouer qu'il n'a plus besoin de papier pour mettre un peu de féerie dans nos soirées. De la féerie ET DE L'ALCOOL.

Helkarava

Helkarava est né en 1988 et possède un mug blanc MUJI blanc "tout ce qu'il y a de plus banal". Ce jeune homme, dessinateur professionnel nous a un jour proposé d'illustrer nos textes. Comme on est un peu des groupies, on a répondu oui en essayant d'être cool et en lui rappelant qu'on avait zéro thunes. Il a dit que c'était pas grave, parce qu'on était pas des crevardes. Il est gentil. Depuis, il nous envoie ses dessins à la bonne heure, et nous parle sporadiquement de son pénis et du fait qu'il voudrait se faire greffer à la place des boobs d'Angelina Jolie. Ca ne nous dérange pas plus que ça : t'as vu comme ça bute, ce qu'il fait ?