Août 1999.
Des semaines que la télé, les journaux et finalement tous les médias nous bassinaient avec l’éclipse totale de soleil. Tout le monde était au courant, même l’Hermite le plus coupé du monde savait qu’à un moment de la journée, il allait se passer ce phénomène quasiment surnaturel : la lune couvrirait le soleil et il ferait nuit quelques minutes. Enfin pas vraiment partout en France mais bon, c’était l’événement de la fin du siècle. Ma première prédiction de fin du monde.
La rareté du phénomène a attisé les folies avec comme leader de toutes ces suspicions de fin du monde, Paco Rabanne. Pour une fois sa créativité n’a pas pris la forme de bouts de métaux composant des robes au style follement futuriste, non, cette fois la folie allait plus loin. Le couturier prédisait l’apocalypse, la fin du monde et un immense incendie dans le Gers provoqué par la chute de la station Mir. Comme quoi les prédictions du 21 décembre 2012 n’ont rien amené de nouveau, elles avaient même un point commun avec celle du 11 août 1999 : le sud ouest de la France. En 1999 le Gers était désigné comme un lieu de fin du monde et en 2012 Bugarach, village de l’Aude avait été désigné comme seul lieu épargné par l’apocalypse.
Le 11 août 99, pour moi l’apocalypse n’a eu lieu que dans ma salopette short. Onze ans et premières règles. Quelques années plus tôt alors qu’on rentrait des courses du mercredi après-midi avec ma mère et ma grand-mère, j’ai affirmé, pleine de naïveté « j’aimerais bien avoir mes règles ». Pourquoi ? Je ne fantasmais même pas sur le développement de ma poitrine d’enfant, on est toutes plates dans la famille. Aucune idée, quoi qu’il en soit, le jour où c’est vraiment arrivé j’ai pleuré à chaudes larmes, sans réconfort maternel.
Cet été-là les jours passés chez mon père doivent se compter sur moins de dix doigts. Il faut donc s’imaginer que j’étais chez mon Papa, célibataire et un peu macho, pas encore conscient que je n’allais pas rester une enfant casse-cou en cycliste Benetton toute ma vie. Mauvais timing et manque de chance. Une fois sortie des toilettes, la culotte entachée, ne sachant que faire et le cœur au bord des yeux, nous avons connu le meilleur échange père fille possible :
- Papa, je crois que j’ai mes règles
- Oh putain…
Fin de la conversation. Il a ensuite appelé une de ses potes pour qu’elle vienne me raconter que pour commencer on s’en sortira bien avec une serviette de la taille d’une couche culotte. Non, je n’étais pas très renseignée sur le domaine des « trucs de filles ».
Pas de « Oh mon dieu ma fille est une femme » pour moi, et tant mieux. Pas besoin de sermon car d’un coup mon corps est devenu capable d’engendrer.
Tant de sacralisation pour un peu de sang entre les cuisses, quand on y réfléchit ça relève presque de la folie. La fin de mon monde est toutefois advenue ce jour là, après cet échange. Il se passait quelque chose qui ne relevait plus de tout le monde, de la dualité parents-enfants, il m’arrivait un truc exclusivement féminin. J’ai été rangée ce jour-là, contre ma volonté, dans le domaine des femmes avec ce qu’il comporte d’interdits et d’attentions demandées. Fin de l’enfance.
Le début de la vie de femme c’est juste le commencement d’une succession de galères. Pour ma part ça a commencé ce jour de supposée fin du monde. La fin de mon monde, d’une ère sans soucis, faite de caisses de Barbies et de CD des Spice Girls écouté en boucle. Satanée éclipse.