Ne cherchez pas du côté des tapis rouges ou des podiums la dernière coqueluche de la fashionsphère. Susan Miller de son petit nom n’est pas actrice, ni chanteuse, encore moins mannequin. Non, Susan Miller est astrologue. Plus chic que Madame Soleil, plus mesurée que Paco Rabanne et désormais plus connue que Nostradamus, l’Américaine bon chic bon genre a réussi en quelques années à rendre accro à ses horoscopes les beautiful people d’Hollywood à New York comme Cameron Diaz, Dita von Teese, Tavi Gevinson mais aussi le personal stylist de Rihanna. C‘est simple, l’industrie du luxe et de la mode en est dingue. Celles et ceux qui ont un jour travaillé pour le web mesureront l’étendue du phénomène Susan Miller avec un seul chiffre : 6.5 millions de visiteurs uniques par mois sur son site astrologyzone.com.
En France, c’est la bloggeuse mode Garance Doré, installée à New York qui explique la première l’engouement des américains beaux et branchés pour l’astrologue et ses thèmes astraux. En 2012, elle décrit avec humour son addiction : « Autour de moi, TOUT LE MONDE lit Astrologyzone. C’est la mode. Genre la super-méga-mode (…) Ici, tout le monde se fait faire son thème, Susan Miller (…) est l’idole des hipsters et il est parfaitement normal de dire, si on vous invite à un lunch : “Attends, je sais pas, je n’ai pas encore reçu mon thème astral”. Le phénomène tourne à la quasi-hystérie quand Susan Miller prend du retard cet été dans ces prévisions. Les internautes crient au scandale, s’en prennent à l’astrologue et exigent de recevoir en temps et en heures leur horoscope. La presse s’en mêle. Les articles abondent. Les réseaux sociaux suivent. Tout le monde devient fou. Un peu trop.
Reste que le succès de Susan Miller et ses brushing impeccables dans le microcosme de la hype peuvent être observés comme sont les symptômes d’un mouvement plus global : l’astrologie, la voyance et plus largement les arts divinatoires prospèrent depuis la CRISE. Oui. Toujours elle.
Dans une lettre ouverte sur le site de l’INAD, l’Institut National des Arts Divinatoires son président Youcef Sissaoui rappelle pourtant que « près de 10 millions de nos concitoyens consultent au moins un fois par an un voyant ou un astrologue, et 30 à 40 % d’entre eux accordent du crédit à l’astrologie, à la voyance et autres mancies divinatoires ». Une proportion de la population plus importante que je n’aurai pensé à l’heure où les data-analyses, les infographies et les algorithmes font office de pythies post-modernes quasi infaillibles.
Pour comprendre les motivations de ces 10 millions de personnes, je suis donc allé moi aussi voir une professionnelle. L’idée de cet article m’est venue en recevant un mail de Soraya, médium. Le rendez-vous est donc pris avec cette médium, « voyante depuis plus de 15 ans auprès de particuliers et de professionnels ». Elle a effectivement constaté une augmentation de sa clientèle depuis quatre ans. Mais pas pour les régler des traditionnelles questions sentimentales. « La majorité des gens qui viennent me voir ont des questions sur leur carrière, l’avenir de leur emploi » explique Soraya. « Les consultations professionnelles depuis deux ans ont pris le pas sur les problèmes de cœur. Les rendez-vous où l’on aborde la vie affective ont reculé, ils arrivent désormais, dans mon cas précis, très nettement derrière les questions d’ordre professionnelles et immobilières ».
Plus facile de trouver un mec sur Adopte ou Meetic que de décrocher un entretien d’embauche ? Clairement oui. Alors que la quête de l’âme sœur, rationalisée et codifiée à l’extrême est devenue un business comme un autre et que le marché de la drague n’a jamais été aussi sécurisant, le milieu professionnel est désormais source d’incertitude, stress et de remise en question. Un renversement des situations qui s’explique par les chiffres : plus de la moitié des célibataires inscrits sur un site de rencontres a effectivement trouvé ce qu’il était venu chercher (53%). Du côté de Pôle Emploi, sur les 2,8 millions demandeurs d’emploi en France métropolitaine au cours du deuxième trimestre 2014, 903.200 inscrits ont repris un emploi d’un mois ou plus. Soit moins de la moitié. La petite entreprise qui ne connaît pas la crise n’est plus celle que l’on croit.
L’augmentation de la courbe du chômage, la création du statut d’auto-entrepeneurs et la forte mobilité de carrière ont changé les modalités de la sphère entrepreneuriale et ont créés de nouvelles angoisses. Ces changements ont induit une volubilité plus importante que du temps de nos parents. Nous savons que faire toute sa carrière dans la même boîte n’est plus concevable et que traverser une période de chômage est hautement probable. Et si tous ces nouveaux paramètres sont intégrés, faire face à une période de chômage, de changement d’actionnaires ou de boss n’est pas toujours évident à gérer. « Mes clients ont des questions très précises : dois-je changer de boulot, me réorienter, partir à l’étranger, monter mon business ? » continue la médium qui constate que beaucoup cherchent à développer leur dons, leurs savoir-faire ou leurs hobbies. « Ils veulent savoir s’ils ne se trompent pas, s’ils sont sur la bonne voie ».
Voyantes, astrologue, cartomancien et médium seraient-ils les nouveaux coach professionnels ? « Je fais très attention à rester à ma place et ne pas déborder sur d’autres domaines ». Son rôle à elle, analyser leur personnalité, faire le point sur leurs faiblesses et leurs points forts, déterminer une période plus propice à l’action et s’en tient là. « Il m’est arrivé d’orienter des clients vers d’autres professionnels plus compétents. Un client qui travaillait dans une grande administration et qui n’arrivait pas à grimper les échelons m’a demandé conseil. Ce que j’ai constaté tout de suite, c’était son manque de confiance en lui. Il parlait vite, n’articulait pas et était confus. Lui n’en avait pas conscience. Je lui ai donné le nom d’un coach pour travailler sur ses points faibles ». A en croire la jeune femme, la case arts divinatoires serait devenue une démarche comme les autres dans les méandres de sa vie professionnelle. Soraya n’en doute pas. Elle travaille avec un réseau, redirige quand il faut vers les psy, coach, médecins. « Mon rôle est d’amener le consultant le plus haut possible et ne pas le laisser dans la nature, tout seul ».
Mais elle n’aide pas que les gens en situation professionnelle précaire. La médium compte parmi ses clients de nombreux chefs d’entreprises, grands patrons, hommes politiques, cadres sup et grand responsables d’administration. « Ils viennent parce qu’ils doivent prendre des décisions, pour des nouveaux contrats, des embauches » explique-t-elle. « Ca s’est toujours fait. Ils arrivent avec les photos des candidats : est-ce vous pensez que cette personne est bonne pour tel poste, sera-t-elle rentable, fiable ? Je les dirige vers tel ou tel personnalité mais je précise qu’ils gardent toujours leur libre-arbitre. C’est eux qui prennent leur décisions » continue Soraya.
Ses clients ont-ils seulement conscience de leur pouvoir ? Durant la conversation, elle décrit des gens souvent désespérés, la consultation est leur dernier espoir. Ils ne savent plus où se tourner. Des « situations d’urgence » où la médium doit donner une réponse précise, et rapidement. Bref, tous remettent leur vie entre ses mains en se déchargeant de leur responsabilité. Incapable de prendre une décision. Et ici, la crise n’a rien à voir avec cette nouvelle tendance à l’assistanat général. Sites de rencontres (Adopte), applis, services de livraison (Tok Tok Tok), tout dans notre quotidien 3.0 nous propose de déléguer, de faire à notre place. Entourés par cet armada de technologie rassurante, qui peut tout pour nous en un temps record et nous enjoint fortement à profiter de ce temps de loisir gagné, nous nous sommes transformés en petits zombies qui ne savent plus rien faire par eux-mêmes. Soraya va plus loin. « Le problème c’est que nous ne sommes plus connectés à ce que l’on ressent. J’ai mon expression pour ça : « Nous ne conduisons plus nos corps ». L’être humain est intuitif, il se fit à son sens de l’observation. Avec Internet et tous les appareils connectés, on ne suit plus son instinct. C’est très dommage. On manque cruellement de spiritualité dans nos sociétés ».
Et si, aussi paradoxal que cela puisse paraître, pour retrouver notre bon sens et notre confiance en soi, nous allions tous voir une voyante au moins une fois dans nos vies ?