L’illustration qu’a réalisé Anna n’était pas prévue pour ce texte.
A vrai dire, elle l’était pour tout autre chose. Un papier que j’avais écrit il y a un an, et que j’aimais beaucoup. Un texte assez court sur une désillusion amoureuse passée (sans déconner), une relation unilatérale, un truc de coeur brisé, le matériau idéal pour chouiner le front collé à la fenêtre alors qu’il pleut (et merci pour les traces de sébum sur la vitre, ON VOIT QUE C’EST PAS TOI QUI LES FAIT).
Le truc qu’on lit régulièrement ici, quand je décide d’écrire pour Retard.
Tout était prévu au planning, j’avais briefé Anna, programmé sa publication un lundi, ça devait être le premier d’une grande série, où je redessinais ma propre carte de métro, revenant à chaque station sur un souvenir marquant. Franchement j’aime encore beaucoup cette idée, faudrait que j’arrive à en faire un truc.
Et pourtant, le lundi matin, avant d’aller au travail, quand il a fallu appuyer sur « publier », je n’en ai pas été capable. J’ai calé, comme le break de tonton François quand on est tous partis à Montalivet après la finale de la Coupe du Monde 1998.
Je n’ai pas été surprise de mon impuissance. Je me doutais un peu que ça arriverait. Avec toute la merde que je me suis prise dans la tête l’année dernière, me remettre à écrire pour moi a été compliqué, alors je parle même pas du fait d’écrire pour que les autres le lisent. Un blocage. Un rejet. J’ai longtemps pensé que j’en avais marre et qu’il fallait peut-être passer à autre chose, comme Ophélie l’a si bien fait. L’angoisse de la page blanche ou plus rien à dire, je ne savais pas faire la distinction. C’est ce que j’ai cru longtemps, avant de constater que j’écrivais aussi pour le taf, et que j’aimais toujours ça.
Il s’avère en fait que j’en ai marre de raconter ma vie. Enfin non, j’en ai marre de ma façon de raconter ma vie.
Il y a une phrase qui m’a longtemps fasciné : « le risque de faire de sa vie un spectacle, c’est qu’un jour, tu te retrouves à devoir acheter un ticket ». C’est ce que j’ai fait, pendant des années, ici. A me présenter d’une certaine manière, qui au départ m’a fait beaucoup de bien, me faisait profondément rire, et puis sourire, puis après je m’en foutais mais bon ça marchait quand même, du coup pourquoi arrêter ? Je savais sur quelles ficelles tirer. La meuf célibataire un peu grosse qui fait deux trois blagues et qui ramasse tous les ans (non mais sérieusement, on dirait pas que j’ai un calendrier de la lose ?) après une relation foireuse dans laquelle elle s’est jetée les yeux fermés.
SANS DÉCONNER, À QUEL MOMENT ON VA PASSER À AUTRE CHOSE ?
C’est bon, même moi j’en peux plus de ce merdier.
Je ne sais pas quand j’ai commencé à réfléchir à la façon dont je me racontais, et l’impact que ça pouvait avoir dans ma vie. Est-ce que j’ai fini par croire au portrait que j’avais moi-même dessiné et peaufiné pendant des années ? A sortir les mêmes poncifs pétés et les mêmes mécaniques comme si elles étaient prêtes à être écrites, étant moi même incapable de me sortir de schémas amoureux / amicaux idiots ?
Bordel, est-ce que j’ai fini par devenir une caricature de moi-même ?
La vérité, c’est que c’est important, la façon dont on se raconte, la façon dont on raconte les choses. Ça laisse un impact sur soi. Ça redessine les souvenirs, ça évite d’être confronté non pas à un truc nul, non, mais à un truc médiocre, comme peut l’être souvent la vie. On finit par se berner comme la dernière des bouffonnes. Et puis ma manie de réécrire les choses passées aussi, ça me soule. Finalement, ça ne fait que me rappeler qu’au moment M, je n’ai pas eu le courage de me lever, de changer la donne, d’intervenir dans ma propre vie pour en changer la direction. Je préfère chouiner, en me cognant la front à la fenêtre.
Ce papier, c’est la clôture d’un chapitre. Celui où je mate dans le rétroviseur, celui où je me considère comme une énorme merde. Je le suis pas, je ne le suis plus. J’ai bientôt 32 ans, des responsabilités, une solidité émotionnelle. Je galère et alors. Mon problème. L’important c’est ce qui se passe maintenant. Camille Ducellier, dont l’interview avec Jasmin pour Gender Derby sera publiée lundi, a dit une phrase que je ne cesse de me répéter : « il faut savoir s’offrir de nouvelles aventures ». C’est ce que je vais essayer de faire ici, en matant cette fois ci le pare-brises. J’ai pas le permis mais je sens que ça sera plus facile pour conduire vers des destinations que je ne connais pas.
Et je sais que j’en ai fait chier beaucoup, ici, en redemandant de bosser vos articles. Y ajouter une touche de joie, un message d’espoir. Le fait est que ce n’est pas pour les lecteurs. On s’en fout. C’est pour vous. Réflechissez à ce que vous dites de vous, à comment vous le dites. Offrez-vous la possibilité d’une sortie, d’une belle conclusion. Offrez-vous la meilleure représentation de vous-même. Cherchez le rayon de lumière où qu’il soit et accrochez-vous. C’est à vous. Et ya que vous qui devez le raconter, quand vous voulez et comme vous le souhaitez.
Allez, on va y arriver. Continuez à m’écrire, à m’envoyer vos papiers. C’est à vous d’écrire votre histoire et de ne pas vous faire bouffer. Et pour ça, si il le faut, on va s’aider.