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samedi, 15 juillet 2017

Mi/nuit

Intermède/Introduction

La vie est un film
La nuit une aire de jeu
de repos
de pérégrinations
Beaucoup la rêvent
L’évitent
La fantasment
La nuit je vis
Je reste en vie
J’aurais dû m’appeler Zakaria, si j’étais née garçon.
Mais je suis une fille et je m’appelle Safia, ce qui signifie « pureté » en arabe, j’adore ce prénom, même si je l’ai toujours porté comme une justification.
J’adore ce prénom, gage de qualité pour une dealeuse de coke.
Je me demande dans quelle mesure le prénom que l’on porte prédétermine ce que l’on devient.
Je suis persuadée que le prénom qui nous est donné détermine ce que l’on est.
J’aurais dû naître garçon, j’aurais aimé, j’ai grandi comme tel.
Parce que je m’en foutais, parce que je voulais trainer torse nu, comme mes cousins l’été, en Algérie. Comme les hommes.
Je croyais que je deviendrais un homme, quand je serai grande.
Il n’est pas ici question de genre, ni d’orientation sexuelle, plus de posture, de rôle, de classe.
Mais je suis devenue une femme.
Je suis née en France, je suis française, je m’appelle Safia, je pensais devenir un homme et suis devenue une femme.
Je suis née d’un père algérien, d’une mère française, d’origine Alsacienne.
Je m’appelle Safia Bahmed-Schwartz et je vais te raconter une histoire.
L’histoire d’une jeune fille issue d’un couple mixte, issue de l’immigration, en France, le cul entre plein de chaises.
Je te tutoie et utiliserai la première personne
Parfois écrire c’est compliqué
On s’invente des histoires, on se raconte, on parle avec les mains, on écrit avec la bouche. On devient un personnage, celui qu’on a créé à force de le raconter.
Virginia Woolf dit que pour écrire il faut une chambre à soi, et de l’argent, pour ma part je te tutoie et te raconte cette histoire, comme on se raconte des histoires au comptoir d’un bar, en face d’un grand miroir en regardant les cigarettes dans le cendrier se consumer. Ou quand on fait un long trajet, la nuit, sur des boulevards, pour aller d’un point A à un point B, et que cette histoire que l’on conte devient le trajet, les passages cloutés des virgules, les feux des points.
L’histoire est alors illustrée par les enseignes, les paragraphes par des rues, les trottoirs des alinéas, un pas devant l’autre, en marchant droit, à deux, à trois.
Ou seul en titubant.

Intermède/Chapitre 1

Quand j’étais enfant mon père me disait que la vie était un film.
Il me disait que ma vie était un film, que dieu regarderait ce film en accéléré sur son magnétoscope, quand je serai morte, le jour du jugement dernier, pour savoir si je devais aller au paradis ou en enfer. Le décor et les personnages servant à produire des périgrinations, des tests pour m’éprouver, éprouver ma foi.
Il m’expliquait que les gens étaient des acteurs, avec des rôles plus ou moins importants, que même lui était un acteur, moi le personnage principal. Il me disait aussi que les rues, notre appartement, la ville, le monde, étaient des décors, un studio, comme ceux d’Hollywood, alors j’ai commencé à voir le monde de la même façon que l’on voit les décors d’un jeu vidéo se former, au fur et à mesure que l’on avance, comme dans GTA.
La rue principale de notre ville, qui traversait Corbeil -Essonnes, la Nationale 7, je la voyais comme un décor de western, les façades des immeubles tenues par de grandes équerres et si l’on poussait une porte, rien, du vide. Et de la poussière.
Il me disait aussi que le scénario était déjà écrit, mektoub il disait, qu’alors je le suivrai, je ne comprenais pas l’intérêt de dieu d’écrire un scénario puis de regarder le film du scénario qu’il avait précédemment écrit.
L’intérêt peut être seulement que le film se tourne. L’intéret des images, des costumes, des plans, des cadrages, de la lumière, du jeu d’acteur et de la marge de manoeuvre, mince. Fine, filiforme.
Je ne crois plus vraiment en dieu, mais considère toujours la vie comme un film.
Dont je suis le personnage principal, parfois je regarde le film d’un point de vue omniscient, par le prisme d’une caméra de surveillance, en noir et blanc, avec des images qui sautent, parfois en grand, allongée dans la moquette rouge d’un cinéma devant l’écran immense et me vois. Les autres sont des acteurs, des personnages plûtot, ceux qui gravitent autour de moi, avec chacun un rôle plus ou moins important et les gens, tous les autres, des figurants.
Les personnages principaux sont particuliers, uniques, identifiables.
Dans le métro, aux concerts, aux soirées, au musée, dans les magasins, dans les rues, des figurants.
Des personnages types qui se renouvellent, se génèrent en fonction des pays, des villes sous des airs, des langues, des apparences différentes.

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Safia Bahmed-Schwartz

Safia est née en 1986 et porte à son auriculaire une très jolie bague en or. Quand on a proposé à cette artiste/prestidigitatrice/receleuse de passer des MP3 à notre soirée au Trabendo (on était tombées amoureuses d'elle en regardant son clip "Vaseline"), on a halluciné quand elle accepté (et on était aussi super contentes, elle a passé MARIAH CAREY). Puis on a re-halluciné quand elle nous a proposé de tenir une chronique qu'elle illustrerait de ses belles mains. Sérieux, comment pourrait-on dire non à Safia ? Tout son travail déglingue.