Mi/nuit est une trilogie qui débute ici.
Le précédent épisode se lit là
Je suis une femme, une « vraie », une femme qui fait bander, sur qui l’on se branle, et de qui l’on rêve.
Je suis une femme qui aime les hommes.
Je suis une femme de qui l’on est amoureux, sans la connaître, sans l’avoir rencontrée. Je suis un fantasme.
Alors que je suis surtout une femme qui se dépêtre de ce qu’elle est, de ce qu’elle porte. J’aime fumer, j’aime le sexe.
J’aime les glaces et les pizzas.
J’aime les bananes, les fraises, les framboises et les grenades.
Je n’aime pas dormir, pourtant j’aime ça.
J’aime la nuit
Mon humeur varie en fonction du soleil, de la météo, le jour.
Et de la visibilité de la lune, la nuit.
Je n’aime pas les gens méchants, surtout les gens méchants par tristesse.
Ceux qui sont violents, hargneux, parce qu’ils sont aigris et tristes.
J’aime porter de beaux vêtements, et je n’aime pas en parler.
J’aime le rouge, le rose, le bleu.
J’aime surtout le noir et le blanc.
J’ai peur du vide et de l’altitude.
Pourtant quand je n’avais plus d’endroit où vivre, je vivais avec d’autres dans un appartement squatté à Barbès, rue Pierre Picard, avec d’autres, des « amis », compagnons d’infortune.
J’avais déserté l’appartement dont la baignoire était pleine de vaisselle sale et dans lequel on cuisinait à même le sol en plein milieu du salon sur une petite plaque chauffante depuis plusieurs jours, quand un soir j’y suis allée pour récupérer mes affaires.
La serrure avait été changée, j’ai alors enlevé mon jean, trop serré, trop taille basse, trop étriqué, pour en string me hisser contre la palissade du 6ème étage, jusqu’à la fenêtre des toilettes par laquelle je me suis glissée dans l’appartement.
J’ai jeté mes affaires depuis la lucarne, puis ai fait le chemin inverse, en regardant en bas, dans le vide, sans avoir peur.
Puis j’ai pris un taxi, une Mercedes classe S grise métallisée, intérieur cuir beige et toit vitré.
Le conducteur jouait du violon, il l’avait toujours avec lui, sur le siège passager.
Je pretextais des arrêts et des destinations, pour parcourir Paris, du nord au sud, de l’est à l’ouest en passant par les quais et les grands monuments, en cherchant les étoiles à travers la vitre du toit dans le ciel de Paris trop illuminé.
Je prétextais des itinéraires, des chemins et des distances pour que passe la nuit et que je trouve un endroit où m’arrêter, me poser.
Sindy ne parle pas beaucoup.
Quand je lui demande son avis, et son avis m’importe, elle me dit qu’elle a besoin de temps, pour réfléchir.
Qu’elle me le donnera plus tard, ce qu’elle fait toujours.
Sindy a conscience que son avis est le sien, différent de l’avis général.
Différent de la norme.
La norme Sindy l’a connaît par le prisme de sa famille.
Une fois Sindy a emmené sa mère à l’exposition de Tony Sehgal au Palais de Tokyo, une exposition de performances, pleine de performances, avec pleins de gens qui performaient selon les indications de l’artiste.
Devant ce spectacle dont elle n’était pas familière et la foule de performeurs en mouvement la mère de Sindy lui avait demandé si elle pouvait crier.
La mère de Sindy pouvait l’appeler jusqu’à quatorze fois par jour.
Lorsque Sindy était placée en foyer elle été heureuse.
Elle avait refusé de voir sa mère pendant deux ans, mais la mère de Sindy arrivait quand même à lui faire parvenir des messages de tentative de suicide.
Sindy avait peur des gens devant les églises.
Sindy voulait être enfant de choeur, puis devenir bonne soeur.
Sindy avait cru pendant 3 ans en dieu, jusqu’à ce qu’on lui dise que seuls les garçons de sa paroisse pouvaient devenir enfant de choeur.
Quand elle était petite, Sindy priait pour devenir un garçon.
J’aime Paris et je la déteste.
Je déteste prendre le métro, avant je faisais du vélo, les cheveux au vent, le pollen dans les yeux.
Ça me donnait une bonne excuse pour pleurer.
Depuis je ne pleure que dans les taxis, jamais dans les über, je pleure dans l’anonymat et rallonge le trajet jusqu’à ce que la tristesse passe.
Quand je prends le métro je dissimule comme je peux la violence que je porte, que chaque frottement, contact caresse et fait bander.
Dans le métro je lis des écrits théoriques, j’ai l’impression de capitaliser ce temps entourée de ces gens qui font la gueule, ancrés dans leurs quotidiens.
Je lis et les imagine en plein orgasme, en pleine jouissance.
J’aime Marseille, comme un amant avec qui on aime tromper son conjoint. Diamétralement opposée, facile, légère, fougueuse.
J’aime me perdre
J’aime écouter de la musique avec mon corps, de la musique fort, de la musique tout le temps, j’aime aussi en faire.
Je n’aime pas les oignons, surtout dans les grecs
Je n’aime pas la sauce algérienne
Je n’aime pas la drogue, je n’en prends plus, depuis longtemps
J’ai commencé tard pourtant, j’ai tout commencé à 19 ans.
L’alcool, la cigarette, les drogues en tout genre et le porc.
J’ai commencé le porc par conviction.
Je me suis dit que c’était nécessaire, qu’il ne fallait pas être hypocrite, pas pêcher à moitié.
J’aime le printemps, lorsque l’on change d’horaire, que la vie éclot, que la nuit commence tard, et qu’elle dure, douce.
Je n’ai pas de plan de vie, j’ai tout fait dans le désordre, un gosse à ving-et-un ans puis des études supérieures, sans avoir le bac.
Je vis au jour le jour, une nuit après l’autre. Parfois je m’ennuie, me nuit.
M’amenuie.
Sindy aimerait avoir un presse-ail, mais n’aime pas les objets qui n’ont qu’une seule utilité.
Chez Sindy il n’y a aucune décoration, les livres sont posés à la verticale, contre le mur, tout le long du mur.
Sindy est vegan, dans son petit frigo il y a seulement quelques légumes, elle dit que les speculos sont vegans, j’en doute mais la crois.
Chez Sindy tout est simple et utile, des gamelles en acier, pour manger, de l’huile d’olive, et un lit.
Sindy était heureuse de m’annoncer un jour qu’elle avait volé pour 80€ de livres à la Fnac la veille, qu’elle avait essayé de voler que des auteurs morts, surtout Beckett, qu’elle m’avait cherché le deuxième sexe de Beauvoir mais qu’elle ne l’avait pas trouvé.
Sindy avait pour projet de toucher le revenu universel, elle comptait dessus pour vivre à Marseille, payer un loyer de 400€ et lire toute la journée.
Sindy voulait un enfant à quatre, elle avait tout prévu, elle savait qu’on ne les laisserait pas adopter, et que l’insémination serait compliquée, alors elle avait réfléchi à d’autres options.
Elle ne voulait pas que cet enfant l’appelle Maman, parce qu’elle considérait que c’était une norme imposée par la société, alors cet enfant appelerait ses parents « Daron », « Daronne ».
Lorsque Sindy était placée au foyer, un foyer de filles, elle avait plusieurs éducateurs référents qui s’occupaient d’elle et à qui elle pouvait se confier. Lors de ces années de placement Sindy était heureuse, Sindy pensait grâce à cette expérience qu’élever un enfant à plusieurs adultes qui n’étaient pas forcément parents naturels était une meilleure solution.
Sindy préférait que son enfant souffre de sa différence enfant mais soit heureux adulte plutôt que le contraire.
J’aime les pivoines, pas les tulipes je les trouves fades, banales, je n’aime pas les orchidées je les trouves prétentieuses.
J’ai longtemps cru que nous étions tous égaux, pas au sens des droits de l’homme, mais que nous avions tous les mêmes chances, le même potentiel, la même base, pourtant je savais déjà que j’étais différente parce que mes parents étaient différents l’un de l’autre, de part leurs cultures, leurs religions, leurs langues.
Parce que je savais déjà en primaire être la seule à aller à l’école coranique le week-end, et au conservatoire pour faire de la harpe le mercredi.
Mais quand même, je pensais que même si on était différent on était égal.
Les gens sont fous, Sindy le savait.
Sindy était fière de dire qu’elle était assistante de star, alors que je ne suis pas grand chose, je suis moi, Safia, je fais ce que je peux, ce que je peux pour faire ce que je veux.
C’était jusqu’à ce que je me rende compte que j’étais une femme, et que l’on ne s’adresse pas de la même manière à une femme, qu’on ne pense pas la même chose d’une femme.
Sindy avait aimé venir me voir défiler, elle avait aimé voir les vêtements tomber même si elle n’avait pas été à l’aise dans la foule.
Sindy portait des bagues en toc et aimerait pouvoir payer avec.
Sindy aimait le rapport entre le vrai et le faux, en même temps que son stage elle faisait un dossier sur la contrefaçon intitulé « Faux, usage de faux » (« Dans le monde inversé, le vrai est un moment de faux » Guy Debord, La société du spectacle ou Louis Vuitton n’a jamais fabriqué de casquette Louis Vuitton)
Sindy riait gras et sec, comme une interjection de joie.
Sindy riait régulièrement, mais moins régulièrement qu’elle ne soupirait.
Sindy riait de façon inattendue.
Une fois je lui ai demandé ce qui la faisait rire, pas par jugement, mais pour partager cette joie si rare qui éclatait en elle, visible, rare sur son visage illisible.
Elle m’avait répondu qu’elle faisait des recherches, et que l’amende pour le port d’arme factice était de seulement de 35€.
Sindy m’avouait avoir eu envie de postuler auprès de Liza Monet, une star du porno devenue rappeuse.
Sindy l’aimait vraiment, parce que dans ses chansons elle disait qu’elle aimait baiser et que c’était important que des gens le disent.
Je perds tout,
par inadvertance.
J’ai perdu 800€ en espèce par inadvertance, j’ai perdu l’ordinateur de ma soeur par inadvertance, j’ai perdu des dizaines de paires de lunettes, des centaines de paquets de cigarettes par inadvertance.
Je perds tout par inadvertance, de façon cyclique, j’ai pris l’habitude.
Par inadvertance, j’ai perdu mon portefeuille.
J’ai demandé à Sindy d’aller faire ma déclaration de perte à ma place, puisque Sindy était fascinée par la contrefaçon, par le vrai, par le faux, par l’imposture. Et que je déteste la police et aller au commissariat.
Lorsque Sindy m’avait rejointe, elle m’avait tendu le document jaune.
Je l’ai remerciée et lui ai demandé comment ça s’était passé.
Par curiosité, pour discuter.
Sindy m’avait répondu qu’elle avait du passer un coup de fil pour savoir dans quel département était Strasbourg, ma ville de naissance, et puis qu’ils l’avaient un peu embêtée parce qu’elle était allée au commissariat avec son arme factice.
Sindy savait que c’était risqué, mais c’était le principe.
Sindy avait toujours son arme factice sur elle.
Sindy tombait souvent malade et quand elle avait de la fièvre elle pleurait.
Lorsqu’elle avait de la fièvre, Sindy pleurait pour rien, pour tout, pour le chat de sa grand mère mort il y a 3 ans, puis pour tous les animaux du monde.
Sindy avait des angines à répétition, mais elle ne voulait pas se séparer de ses ganglions. Les médecins ne savaient pas exactement ce que Sindy avait.
Puis finalement, après une batterie d’examens les médecins avaient trouvé.
Sindy avait la mononucléose, la maladie du baiser.
Je n’ai jamais signé la convention de stage de Sindy, longtemps après elle m’a écrit, m’a dit qu’elle avait eu la meilleure note de sa promo à son devoir sur le faux et que c’était la contrefaçon qui nous avait réuni.
Le stage était fini pourtant je pensais beaucoup à Sindy, je la voyais partout, sa présence fantomatique avait renforcé cette sensation d’avoir Sindy à côté de moi en permanence, de la voir dans le métro, à un croisement de rue.
J’avais depuis plusieurs jours besoin d’écouter de la musique fort, je ne prends pas de drogue, mais j’avais besoin d’écouter de la musique avec mon corps.
C’était un samedi soir, il y avait une soirée à Montreuil, où les gens faisaient ce qu’ils voulaient, dansaient sans se regarder sur de la musique forte, où les gens s’aimaient malgré le sexe, malgré le genre.
J’y étais allée tôt, en métro, vétue d’une de mes robes préférées, rose bonbon, longue, j’effleurais le sol à chacun de mes pas, mais ne le touchais pas.
Lorsque je suis arrivée devant l’endroit, une forme noire s’est dessinée, à mesure que j’approchais, cette forme ressemblait à Sindy, mais elle avait les cheveux plus courts, elle était statique au milieu de la route.
Je me suis dit alors qu’il fallait que j’arrête de voir Sindy partout, pourtant plus j’approchais plus elle lui ressemblait, les lunettes, les cheveux noirs, vêtue de noir, profil noir, mortifère, fantomatique, jusqu’à ce que, lentement, le visage se tourne dans ma direction.
Livide, les lèvres blanches, les yeux verts de Sindy.
- Tu es blanche!
- Je sais, je fais une crise d’angoisse
- Tu ne devais pas rester chez toi?
- Si justement ça fait deux semaines que je ne suis pas sortie
Sindy s’écroule
Il y a des gens avec qui, luxe ultime, on peut partager le silence.
Pas besoin de combler, pas besoin de parler, pas besoin de se raconter.
J’ai croisé les bras et y ai mit ma tête,
J’entendais encore le bruit autour de moi, les yeux fermés, cette voix d’homme en haut parleur, de loin.
Ses mots sont flous.
Il fait noir.
Je sens mes jambes flageller, je sais qu’il faut que je tienne, mais je ne sais plus où je suis. Ça tourne, je réfléchis, « qui est cet homme? », « qui parle? », « donne des ordres de sa voix grave? ».
Je crois être entourée au milieu d’une foule, même en faire partie.
Je ne sais plus où je suis, mais je n’ai pas peur, je réflechis, je réflechis
Je sens que je sombre, je sais qu’il ne faut pas, ne pas tomber, jamais, rester sur ses deux pieds, même si les jambes tremblent.
Je ne sais pas qui je suis, peu importe, ça reviendra, il faut d’abord éviter la chute.
Ne même pas envisager l’atterrissage.
J’ouvre les yeux, soulève ma tête, je suis nue, mon reflet dans le miroir, mon corps, les dessins à l’encre noire qui est devenue bleue, je les reconnais, me souviens de leurs histoires.
C’est moi, je réalise.
Levée trop vite, la chaleur du sauna, à jeun, je bois, de l’eau, celle de ma bouteille
Je valse avec la chute mais ne tombe pas
Jamais
En moi c’est inné, que je le veuille ou pas.