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lundi, 27 novembre 2017

Sale histoire

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Il y a quelques temps, à Marseille, une copine a organisé un atelier sur les violences conjugales, une journée à parler de ça, des signes à repérer, des mécanismes de la violence, des solutions à mettre en place, une journée à réfléchir autour de la question quoi. J’y suis allée sans trop d’arrière pensée, un peu comme ça, en me disant que ça pourrait toujours me servir avec mes potes ou dans mon boulot.

J’ai mis du temps à comprendre que ça parlait de moi.

Violences. Conjugales. Je suis ressortie de là en vrac, l’estomac sans dessus dessous, la mâchoire crispée à force de retenir les larmes. J’ai souri, j’ai dit que ça m’avait un peu « chamboulée » et j’ai parlé d’autre chose.

J’ai fini par rentrer chez moi, et j’ai cherché parmi tout mon bordel le zine qu’on avait écrit avec une copine, le numéro 2, celui où je parle de mon ex, j’ai tourné frénétiquement les pages, et je suis tombée dessus, j’ai tout relu d’une traite. C’est à ce moment là que j’ai commencé à me dire qu’il y avait un problème. J’avais bien réussi à analyser de manière très froide la situation, je racontais les faits, et il avait dit ça, et il avait fait ça, en me dévalorisant même un peu pour donner le change. J’écrivais par exemple : « il me disait tout le temps que j’étais distante, que je me laissais pas assez toucher, que je voulais pas de câlins. Moi je voulais juste du temps, du temps pour apprécier la situation, comprendre si j’en avais envie et de quoi j’avais envie. Faut comprendre que je suis un peu lente comme fille pour savoir ce que je ressens ou ce dont j’ai envie, j’ai jamais vraiment prêté attention à tout ça, et ça me prend du temps de laisser la place aux sentiments, de laisser réchauffer mon corps pour qu’il s’active. » Ce passage m’a sauté aux yeux quand je l’ai relu. Je ne crois pas que j’étais lente avant de le rencontrer. Je pense que j’étais comme beaucoup de personnes de 20 ans, et que ça n’était pas de temps dont j’avais besoin mais de, au hasard, ne pas être harcelée ou forcée.

J’avais écrit quatre pages dans ce zine, les premiers écrits que j’avais jamais tapé sur cette relation de quatre ans, une page par année, sans dire le mot viol ni violence. Tout ce que je lisais me semblait édulcoré, léger, presque comique, comme si la seule solution que j’avais trouvée pour partager ce que j’avais vécu c’était d’en passer par le rire, par la distance,

Pourtant les jours qui ont suivi l’atelier, je n’avais plus du tout envie de rire. Et malgré des années et des années de militantisme, j’ai commencé par détester les féministes, parce qu’on déteste toujours le messager. Avec leur analyse de la situation, leur description des violences conjugales, elles m’indiquaient que j’avais probablement été victime et ça me rendait folle, ça tournait dans ma tête en boucle, peut-être que j’avais tout inventé, les souvenirs avaient du mal à ressortir, pourtant je reconnaissais bien certains éléments dont la copine avait parlé, l’isolement, la confiance en soi qui disparait, les violences sexuelles. Je pensais aux éléments tangibles, les infections urinaires à répétition par exemple, mon corps tout bloqué, mais mon cerveau excluait d’aller creuser les sentiments, il voulait bien analyser froidement ma relation passée mais il refusait catégoriquement de me faire ressentir quelque chose.

Et puis, je me raccrochais à un truc, je n’avais jamais reçu de coups ni d’insultes, ça voulait bien dire que rien de tout ça me concernait non ? Toutes ces années je m’étais persuadée que les violences étaient intrinsèques à l’hétérosexualité, c’était pas de la violence conjugale, c’était juste la société patriarcale, tout le monde avait vécu ce moment où ton mec te met un peu la pression pour baiser, et j’aurais été donc bien faible de penser que ce que j’avais pu vivre pouvait me traumatiser, on était des millions dans ce cas et j’avais l’impression que tout le monde fonctionnait bien mieux que moi. J’avais raconté autour de moi, et personne n’avait jamais mis les mots à ma place, tout au plus on me disait que c’était un con, peut être que j’avais l’air d’en parler avec trop de détachement pour être traumatisée ?

Je voulais être une combattante, pas quelqu’un qui avait perdu des années de sa vie avec un pauvre type, je n’assumais pas, et puis quoi, j’allais dire la tête haute que j’avais subi des violences au sein de mon couple, je pouvais déjà imaginer les regards plein de pitié, non merci. Et j’allais devoir assumer, j’étais restée, de février 2007 à janvier 2011 exactement, je l’avais laissé me traiter comme ça, j’avais abandonné la résistance, ça disait quoi de moi hein ? Et plus j’y pensais, plus mes mâchoires se crispaient, plus je ravalais les larmes en évitant ma tête dans le miroir.

Pourquoi ça m’est arrivé à moi particulièrement ? Je crois que c’est ça qui me rend dingue, j’ai beau me répéter que c’est lui et pas moi le problème, je passe par tous les stades que je connais pourtant par coeur : j’ai l’impression d’avoir provoqué le truc, je me demande si je n’invente pas, je suis dans le déni, je regarde les autres victimes et j’oublie tous mes principes militants, je les classe en deux catégories : celles qui selon moi ont vécu pire et qui me font me sentir illégitime et celles qui selon moi ont vécu moins pire et que j’essaie d’effacer de ma vision, parce que si elles se considèrent comme victimes, alors quoi dire de moi. Je me dis que je l’ai probablement mérité, que je n’ai pas assez dit non, que rien n’est de sa faute, je me remémore son enfance vaguement difficile, ses parents insupportables, et je l’excuse, encore et toujours. C‘était moi, j’avais voulu le sauver, j’avais décelé une faille qui m’avait attirée, je voulais être plus forte que toutes les autres et je l’avais laissé s’essuyer sur moi pendant qu’il me disait que je le comprenais mieux que personne, que je connaissais tous ses secrets et leurs rêves.

J’ai eu des relations toxiques et une relation avec violence, et j’aimerais bien parler d’autre chose mais j’y arrive pas, je suis bloquée là dessus en ce moment, ma psy dit que c’est cyclique le trauma mais ça m’emmerde, moi j’aurais voulu que ça soit comme dans les films, une étape à franchir, une fois que t’es en haut de la montagne tu ne dégringoles plus. Dans le texte du zine, en conclusion, j’avais écrit un truc plein d’espoir du style : « En vrai, t’es toujours là, debout, tu tiens, tu gères, ça pourrait être pire, et t’avances, parce que t’as gouté à un truc trop bon, qui s’appelle la liberté, et t’es pas prête de l’abandonner sur le coin d’un parking. Donc le jour où tu rechopes une infection avec le nouveau, et que quelques jours avant il t’avais fait culpabiliser sur une histoire de cul, tu fuis, parce que t’as bien compris la leçon, tu fuis pour faire taire la rage qui monte, pour apaiser la violence protectrice qui se diffuse dans tes veines. En vrai, tu te sauves, toute seule comme une grande, comme tou.te.s ces autres autour de toi, parce que t’as compris que t’en étais capable. F., j’en rêve plus la nuit. Il a rejoint la liste des connards que j’ai croisé et auxquels j’ai plus envie de penser. »

Quelques mois plus tard, je relativise l’envolée lyrique.

Il y a quelques jours, juste avant que mon fil d’actualité ne se remplisse de témoignages tous plus rageant les uns que les autres, tout ça se remuait tellement dans ma tête que j’ai explosé, à une heure du mat dans le lit, des crises de larmes incontrôlables, j’en tremblais, pour la première fois c’était mon corps qui réagissait et pas ma tête. Oui cette personne a forcé mon consentement, oui, elle s’est imprimée dans ma chair, et pendant que je traine mon corps en thérapie, il vit sa vie sans regarder en arrière, comme tous les autres, comme ceux qui nous félicitent de « briser le silence » via des posts Facebook mais qui n’écoutent pas, qui ne changeront pas, qui pensent qu’ils sont hors d’atteinte, hors de cause.

Je réfléchissais à cette idée qu’ont certain.e.s copains et copines de ne pas dire victime mais survivant.e, un truc de langage, même Beyonce le dit, et ça m’a frappé à quel point en fait c’était important, à quel point ça facilitait la prise en compte des violences reçues. Ca induit une action, un truc qu’on aurait fait nous pour s’en sortir, on a survécu, on a dit stop. L’autre jour, une femme à la radio parlait d’autodéfense, et a dit un truc tout simple : si ces femmes sont là aujourd’hui pour témoigner, c’est qu’elles se sont défendues, c’est bien qu’elles ont survécu.

Marcia

Marcia est née en 1986 et a un superbe couteau avec gravé "We Fight Back". On l'a rencontré il y a fort longtemps, elle avait eu la gentillesse de nous inviter pour un nouvel an et depuis, cette passionnée de pâtes et de droits sociaux nous envoient des papiers qui défoncent tous autant qu'elle, et nous éclaire de fou. C'est simple, on les attend avec la même impatience que la neige à Noël. Marcia, on t'aime, change rien et continue comme ça. Coeur avec les doigts.

Avalon

Avalon est née en 1994 et roule pas encore très bien sur des patins venus tout droit des années 90. Actuellement aux Beaux-Arts de Toulouse, la jeune illustratrice rêve de vivre de ses chouettes petits Mickeys, de faire bouger ses boobs en rythme (genre comme Shakira ? Tu me dis si je me trompe Avalon), et de faire tout ça en buvant des Bubble Teas. Je sais pas si c'est possible d'ailleurs de faire blobloter ses pecs avec un thé au Tapioca. Ça me donne envie d'essayer.