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mercredi, 17 mai 2017

Stalker ou ne pas stalker, telle n’est plus la question

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En 2017, la question ne se pose (presque) plus : ce qu’on cachait comme une activité peu valorisante à côté de faire la collection de petites culottes sales et jouer du triangle est devenu une norme. Remplaçant (ou complément) virtuel du bon vieux “je regarde mon voisin d’en face se balader en slip kangourou entre les rideaux” le stalking est une activité chronophage et captivante qui permet de rentrer dans la pseudo vie privée de gens consentants. Ce qui n’empêche pas, lorsqu’on pratique cette activité de basse voltige, une sensation tenace de faire quelque chose de mal. Un peu comme quand, gamine, je tombais par hasard sur le journal intime de ma soeur et que je ne pouvais pas m’arrêter de le lire alors que je m’étais promis que je m’arrêterais après une page, une seule. Le journal refermé, je ne manquais jamais de m’adonner à séance d’auto-flagellation consistant généralement à m’interdire de manger du Savane au goûter.

Dur dur de résister au Savane de 1

Qui n’a jamais googlé son rencard Tinder pour s’assurer qu’il n’est pas un(e) serial killer ou de la famille d’Estrosi, puis, une fois rassuré(e) sur son casier judiciaire vierge, glané quelques centres d’intérêts sur son compte Twitter pour alimenter la conversation (“quoi ? Toi aussi tu adores les gifs de chaton ? Tu ne vas pas me croire mais figure-toi que j’ai moi-même eu un chat dans mon enfance, quelle coïncidence in-cro-yable”) Qui n’a jamais cliqué par hasard sur la petite vignette dans le bloc “Amis” sur Facebook renvoyant vers le profil de l’ex de sa moitié du moment l’histoire de vérifier qu’il/elle ne vous arrive pas au gros orteil ? Qui n’est jamais retourné cinq fois dans la même journée sur le profil de cet ex qui vous a brisé le coeur (même si vous n’êtes plus “amis” depuis 2013. On ne sait jamais, il aura peut-être changé sa photo de profil) ? Qui n’a jamais voulu savoir ce qu’était devenue Louise la belle gosse du Lycée ? Et ce collègue sympa au boulot sur lequel on a un crush ? Et ce camarade de 6e qui a viré sarkozyste et dont la timeline vouant un culte à Nicolas vous fascine autant qu’elle vous donne des frissons de dégoût ? Ou encore ce parfait inconnu dont la description Twitter vous a tapé dans l’oeil ? Et BIM, sans même vous en être rendu(e) compte vous voilà à dévorer des kilomètres de timeline à la recherche d’une information croustillante (par “croustillante” j’entends “Jean-Michelle a passé ses vacances à Marbella c’est hyper ringard” plus rarement “rolala t’as vu ? Jean-Sophie travaille à la DGSE et a posté la photo de la bombe atomique qu’elle a désamorcée mardi dernier”). Et je ne parle même pas du stalking professionnel qui est devenu automatique quand on souhaite se renseigner sur une potentielle recrue.

Si vous avez été confronté à l’une des situations ci-dessus, bravo vous êtes aussi un stalkeur. La vraie question est donc : comment se consacrer à cette activité de manière sereine et avertie ?

Voici quelques conseils pour mener un stalking efficace et discret :

1/ En présence de ta cible jamais tu n’avoueras stalker

Vous connaissez peut-être cette situation : vous rencontrez cette meuf super cool, une pote de pote qui est votre friendship goal depuis que vous avez vu sur son profil qu’elle portait un chapeau nénuphar en soirée. Elle ne vous connait même pas de nom tandis que vous connaissez déjà de loin son activité Facebookienne (elle n’est pas trop regardante sur ses paramètres de confidentialité pour votre plus grand bonheur) donc vous avez à peu près de quoi lui créer un profil Wikipedia intégrant ses goûts, sa date de naissance, son amour pour le Sonar, les tacos et les lunettes rectangulaires. Quand vous la rencontrez enfin en chair et en os pour peu que vous soyez un peu bourrée il se peut que vous lâchiez un “rolalala j’adore la photo où tu fais du french cancan affublée d’un manteau en cuir au style Matrixien” (bon personne ne dit jamais “affubler” ou “matrixien” dans la vraie vie mais faisons un effort d’imagination, merci). Votre potentielle future amie risque de prendre peur et répondre avec un lapidaire “heu mais on se connait pas, comment tu sais ça espèce de perverse polymorphe ?” avant de tourner les talons de ses Docs Martens en édition limitée.
Vaut mieux donc sortir sa meilleure poker face et résister à l’envie d’étaler son savoir sur ladite personne. Ou alors vous avez les talents d’un diplomate en temps de guerre froide et êtes capable de manier la conversation de manière à aborder le plus subtilement possible les infos en votre possession tout en les tournant à votre avantage. Dans ce cas, chapeau (nénuphar).

Leçon n°1 : mimer la “surprise”

Même conseil pour à peu près toutes les situations décrites en préambule de cet article. Inutile de faire savoir à votre ex que vous croisez à cette soirée chez des mis communs que vous savez déjà qu’il a une nouvelle copine car vous êtes tombée il y a deux semaines sur le compte Instagram de sa dulcinée et que cette cruche poste chaque détail de leur vie amoureuse, brunch dans le 11eme et weekend en Normandie inclus. En plus elle a laissé son profil PUBLIC c’est pas comme si vous pouviez vous empêcher d’aller fouiner … si ? Voir le côté positif des choses : vous avez eu ce sursaut de jalousie qui vous a donné envie d’égorger des bébés suricates il y a deux semaines au moment du visionnage de son profil ce qui vous a laissé le temps de digérer l’information et d’adopter une attitude complètement décontractée de la membrane lors de son annonce en live. Voire même à préparer une riposte “Ha ouais ? Je suis super contente pour toi, et sinon vous brunchez souvent ?” (parce que vous savez qu’en vrai il déteste les brunchs. La vengeance est un plat qui se mange avec des oeufs brouillés).

Raton-laveurs maléfiques ou fouines, même combat.

Autre cas de figure : si vous êtes en début de relation il n’est pas rare de passer plusieurs dizaines de minutes quotidiennes à éplucher la vie numérique de votre target. Sur l’oreiller vous avez envie de lui avouer que vous aussi vous adorez ce film italien des années 60 qu’il a liké en 2014 et que c’est clairement un signe que vous être faits l’un pour l’autre. Mais même s’il y a de fortes chances pour que la personne avec qui vous jouez au Scrabble de lit depuis quelques semaines ait également entamé un stalking intensif sur votre personne, restez prudent(e). Surtout dans cette phase dits “des débuts” où chacun tient une ardoise dans un coin de sa tête (“ha tiens elle a mal conjugué un participe passé, BIM, moins 11 points”)
D’ailleurs il/elle sait déjà que vous êtes allée que Maroc l’été dernier rapport à votre playlist “Rock the casbah” sur Deezer (c’est d’ailleurs pour ça qu’il/elle a ramené des pâtisseries orientales à votre troisième date, +12 points. Pas bête la guêpe).

2/ Ton identité numérique tu contrôleras

Je stalke, tu stalkes, il/elle stalke, nous stalkons. Si vous stalkez, il semble évident que d’autres ne se gênent pas pour le faire. Il faut donc veiller à contrôler les informations qu’on partage à des fouines aussi curieuses que soi.
Première étape indispensable : googler son nom sans hésiter à partir avec sa lampe torche jusqu’à la 6e page de recherche pour faire remonter tous ces vieux skyblogs aux noms n’ayant pu trouver leur origine que dans des âmes d’adolescents tourmentés.

Bienvenue sur la 8e page

Exit donc “angedu78” ou “Missvenus95” . Une fois remontés à la surface éradiquez-les, qu’ils reposent en paix dans le cimetière d’internet à côté de Caramail et Google Plus. (sauf si ou vous êtes fier(e)s de cette fameuse “mèche violette rabattue sur le côté droit du visage” période Indochine auquel cas inutile de faire sévir l’auto-censure).

Il y en a bien qui n’ont pas honte de la porter à 40 ans passés…

Une fois le ménage fait sur ses vieux liens il s’agit de jeter un oeil averti sur les réseaux sociaux qu’on alimente toujours : ne divulgue-t-on pas trop d’informations ? Cette photo où l’on regarde son ex amoureusement datant de 2012 est-elle vraiment nécéssaire ? Ne risque t’-elle pas de refroidir de nouvelles conquêtes ? Ou au contraire titiller Jean-Hippolyte votre coup de coeur du moment qui risque lui-aussi (uniquement s’il est comme vous espion ascendant fouine) de se retrouver à décrypter votre timeline depuis votre inscription sur Facebook en 2007 ? Justement cette première photo de profil pixellisée prise avec la webcam de l’ordi de vos parents ? Aux oubliettes. Ce groupe indé devenu tellement mainstream : déliké sans scrupule. Parce qu’on a une personnalité très forte on n’hésitera pas à se détaguer discrètement des photos ne nous mettant pas à notre avantage en fonction du message qu’on souhaite faire passer à notre audience (“cette photo au carnaval de Dunkerque où j’ai un bout de hareng collé dans les cheveux et un sourire de psychopathe rapport au fait que j’ai commencé les shots à 8 heures du matin montre que je suis une personne fun (et un peu alcoolique). Mais je suis moche dessus. Mais je suis fun. Mais je suis moche. Bref, choisissez votre camp.)
Le piège à force de contrôler jusqu’à la moindre nuance de filtre c’est de donner une image de soi trop aseptisée. On dosera donc tout ça avec parcimonie. Personne ne veut donner l’impression d’être une meuf ou un mec qui passe son temps à se regarder le nombril. A cet effet on pourra s’inscrire sur Snapchat si ce n’est pas déjà fait qui permet d’apporter une caution rafraichissante et spontanée à votre image numérique dans cette jungle de réseaux formatés.
Last but not least : on apportera un soin tout particulier à ne pas créer de ponts évidents entre ses différents réseaux afin de ne pas trop faciliter la tâche au stalkeur. Par exemple : j’évite de poster mes photos Instagram sur Twitter ou sur Facebook . J‘essaie d’utiliser autant que possible un pseudonyme pour chacun des réseaux sur lequel j’étale ma vie.

3/ La spécificité de chaque réseau tu connaîtras

Note de vocabulaire — Target/cible : toute personne susceptible d’éveiller votre curiosité

En tant qu’ancêtre du réseau social oùtoutlemondeestmemevotregrandmere Facebook reste la bible du stalkeur. Plutôt transversal au niveau des informations disponibles avec des indices précieux sur la couleur politique de l’individu qui vous évitera de déclamer votre passion sur Mélenchon à la personne que vous souhaitez mettre dans votre lit s’il/elle reposte les articles du Figaro dithyrambiques sur Fillon #tips (après si vous avez envie de mettre un fan de Fillon dans votre lit c’est votre problème). On ne fera pas l’impasse sur la rubrique “événements” donnant des informations utiles sur les lieux de sortie de votre target (est-elle plus bars punk ou soirées électro ? Conférence sur la physique quantique ou yoga tantrique ?).
Instagram est en passe de détrôner Facebook pour savoir dans quelle piscine votre cible aime mettre tremper ses jambes en vacances et quels sont ses goûts en matière de déco et d’animaux. Le taux de selfie hebdomadaire sur ce réseau est également un très bon indicateur du niveau de narcissisme. Si vous dénichez le profil Spotify ou Deezer c’est le jackpot pour connaître les tendances musicales de votre cible.

instagram : le réseau le plus fiable pour connaître la texture des cuisses et le standing de votre cible.

S’orienter vers Linkedin pour retracer les études et le parcours professionnels avec en bonus le niveau de compétence en pipeau marketing (attention sur ce réseau social on voit si une personne a consulté son profil, le stalkeur expert fera donc une capture d’écran pour éviter de devoir y retourner en cas de doute sur la mention au bac de Jean-Diane). Idem pour Snapchat, très riche en information sur le quotidien mais qui notifie votre cible de votre visite. A utiliser avec parcimonie.
Si votre target a une activité régulière sur Twitter ou est ce qu’on appelle communément un “Twittos”, vous avez de la chance car c’est un excellent indicateur sur son niveau d’humour et de susceptibilité.
Si Twitter est une mine d’or alors l’existence d’un blog perso est carrément une mine de diamants. En effet, quoi de mieux qu’un individu qui étale ses états d’âme au tout-venant (coucou) ? Après tout est bon dans le gros cochon de l’internet et vous trouverez des informations dans Medium, Copains d’Avant, Couchsurfing.com, Youtube, Pinterest, last.fm, Societes.org, Ebay. Même un compte Marmiton peut s’avérer utile.
On ne sous-estimera pas la fréquence des likes, RT et autres petits coeurs. Plus difficiles à tracker ils permettent de détecter si la personne est du genre à liker les photos de profil de ses potes bonnasses/nards, mais également à déceler une personnalité “j’èmatouva” qui distribue ses pouces comme Depardieu les shots de vodka ou un “rabat joie du coeur” qui les rationne comme Anna Wintour ses sourires. Parce qu’on aime extrapoler à partir de rien on affirmera que les premiers sont généreux mais un peu trop légers de la cuisse tandis que les deuxièmes sont radins mais exigeants.

4/ Entre les lignes de statuts tu liras

Afin de mener à bien cette enquête hyper approfondie je me suis rendue dans les tréfonds de ma timeline Facebook pour y découvrir avec des frissons de stupéfaction qu’il y a sept ans je m’amusais à laisser des statuts pseudo cryptés de noms de groupe de rock indé (genre après avoir découvert The xx cinq mois avant que ça devienne LE groupe en vogue et j’avais juste mis “The xx” en statut. Trop cool la meuf)(minute lucidité : cela veut probablement dire que dans six ans je regarderais avec apitoiement les choses que je partage actuellement , ouille). Apparemment je me prenais aussi pour une sioux 2.0 et tentais d’envoyer des messages hyper cryptés à partir de paroles de chansons dans l’espoir que mon crush du moment se sente visé. Sauf que rétrospectivement même la NSA n’aurait pas pu les décrypter.

Mais qu’est ce qu’a bien voulu vouloir dire mon moi de 21 ans ????

Quelle ne fut pas ma frayeur quand je me rendis compte que je faisais toujours exactement la même chose (les photos de moi à Berlin déguisée en ours ayant subtilement remplacées les statuts musicaux vaseux) . De la même manière que je perçois nettement l’intention de la jeune vingtenaire en moi il est fort à parier que ce que je laisse filtrer de manière toute aussi peu subtile mes intentions de pré-trentenaire tentant en vain d’étaler sa culture comme le fond d’un pot de margarine périmé à grand coup de partage d’articles de Télérama.

Bref, tout ça pour dire que ce n’est pas tant le contenu qui est posté le plus important mais l’intention en arrière-plan. Quelle image souhaite donner la personne d’elle-même est finalement la seule information un peu fiable qu’on pourra tirer d’un stalking efficace. Comprendre : qu’est ce qui a bien pu pousser Jean-Bernard à partager cette photo de lui en peignoir avec un gros cigare adossé à cette grosse voiture ? Si ce n’est pas du troisième degré c’est probablement qu’il n’a pas conscience de véhiculer l’image d’un mec au petit zizi. Cette mauvaise maîtrise des “codes” montre que Jean-Bernard est peut-être un mec hyper sympa mais pas très lucide sur les messages qu’il fait passer au monde. Ou au contraire il a l’impression d’être un pro du message subliminal qui fait tomber les nénettes auquel cas il est fort à parier que ce garçon ne soit ni une lumière, ni un être très fréquentable.

5/ Ton stalking tu limiteras

Bon déjà on évitera de pousser le vice jusqu’à aller harceler les gens dans la vraie vie, ça ne se fait pas, on est pas dans un épisode de Transfert.
Sans vouloir faire la rabat-joie on n’ira pas non plus jusqu’à hacker les webcams de ses voisins ou prendre des jumelles pour mater le vis-à-vis(coucou l’ancêtre du stalking).
En plus stalker ça prend beaucoup trop de temps. Vous savez tout ce temps qu’on se plaint de perdre devant son ordi ? He ben pour ma part c’est 60% du temps à regarder les profils de mes amis, de mes exs, de mes targets ou de mes friendships goals. Un temps précieux qui pourrait être consacré à sauver des bébés lémuriens par exemple.

Roca Balboa

Bricole Gueurle officielle de la Team Retard
Roca Balboa est née en 1990 et aimerait bien réadopter des rats. Amie d'Anna, la première fois qu'on l'a rencontrée on a vu un petit chaton tout mignon. Puis, en mangeant un kebab sur un banc, on a constaté la bouche pleine d'une viande qu'on connaissait pas qu'elle avait la gouaille la plus hardcore qu'on connaisse. Et un putain de talent pour le dessin. SON SITE PERSO : http://rocabalboa.com/