J’aime pas vraiment les animaux de compagnie. Les chiens me font peur, les chats me rendent malade. Le reste ne sert à rien, à part à te rappeler que tu les as enfermés pour toujours, et que c’est pas très sympa de ta part. La seule bestiole que j’ai voulue c’était un bébé cochon en CM2, pour plaire à Drazic. Ma mère a dit non. J’ai fait la gueule - Drazic ne me trouverait jamais cool. Alors elle m’a acheté un ordinateur. Après ça, j’ai plus jamais aspiré à ce que quoi que ce soit de vivant me tienne compagnie.
Tout ça pour dire que j’aimais pas vraiment ça. Jusqu’à Princess Monster Truck. La première fois que j’ai vu sa photo sur Instagram, j’ai retourné mon téléphone dans tous les sens; « Je regarde quoi là au juste? » ça ressemblait bien à un chat noir, mais plutôt de type passé-sous-les-roues-d’une-bagnole que persan. Ses yeux jaune citron et ses dents de traviole m’ont rappelé mon amoureux de primaire, qui avait la méga classe avec son appareil dentaire chromé. Je l’ai followé direct. A chaque nouveau post, j’ai le cœur qui gigote comme quand, après la récré, je découvrais un petit mot de Lucas, soigneusement plié en quatre et glissé dans mon casier.
Après, j’ai fait la connaissance sur le réseau social de Tuna, un chien roux au poil ras et à la mâchoire débordante. Le genre de bête que tu pourrais difficilement croiser au détour d’une ruelle sombre sans pousser un petit cri. Sauf qu’il fixe l’objectif avec le même regard exorbité que mon petit ami du collège lorsqu’il m’attendait le matin, devant le portail du parc de La Rabière. Ses lunettes étaient censées corriger son strabisme, mais ça ne marchait pas vraiment. Clic, abonnée.
Puis je suis tombée sur un chihuahua à qui il ne reste qu’un oeil, Yogurt il s’appelle. J’ai eu 16 ans à nouveau. J’ai revécu ce jour où Fabien, mon copain du lycée, sur le point de se déshabiller pour la première fois devant moi, m’avait annoncé qu’il n’était pas tout à fait entier. Et c’est marrant car lui aussi avait la langue qui pendait. Je me suis délectée de toutes les photos de ce compte, une par une, gravant dans mon esprit celle où il porte un déguisement ridicule de Pikachu. C’est important d’emmagasiner des images délicieuses pour les jours trop gris.
Est-ce utile de décrire la mine dépitée de mon entourage tandis que je scrolle, scrolle, scrolle, les yeux rivés sur mes petits estropiés? Tout aussi vain que de raconter le soulagement de mes parents la dernière fois que je me suis fait larguer. Ils ont enfin pu se remettre à croiser les doigts pour que j’épouse « un gars bien » - comprenez, qui ne ferait pas trop tâche sur du papier glacé. J’étais moi-même sur le point d’aller consulter, presque persuadée que l’arbre de mes goûts cachait une forêt de problèmes psychiatriques, quand est sortie une nouvelle étude sur la sélection naturelle.
« Bla bla bla, bla bla, conclusion, dans certains cas, des caractéristiques physiques atypiques seraient plus attirantes », expliquent des chercheurs australiens. Comme chez certaines espèces animales, ce serait la rareté d’un individu qui le rendrait beau aux yeux des autres. Voilà, pour la faire courte, ce que disent ces messieurs en blouse; et leurs mots, sous des airs de je-dis-ça-je-dis-rien, dessinent un doigt d’honneur à tous les conformistes. Sur ce, je laisse les adorateurs de Brad Pitt, de la symétrie des visages et des animaux en plastique méditer. Je m’en retourne à mes moutons - noirs, bien entendu.