« Couronnée d’étoiles, la lune est sous tes pas. »
Ta mère. C’est ta maman, ma maman, notre maman. C’est la mamma, la mère juive, la mère louve… C’est l’idéal de maternité. C’est l’icône publicitaire pour les céréales, la purée instantanée, la lessive, etc. Celle sainte et parfaite, tout entière dévouée à ses enfants – peut-être même sacrifiée à eux – mais toujours souriante. Tellement sainte, qu’on imagine qu’elle nous a enfantés sans jamais faire de sexe… La Madone, comme image de la mère qui se consacre toute entière à son enfant, vénérée, déifiée existe-t-elle inconditionnellement et pour encore des siècles et des siècles ? Ou va-t-elle nous filer entre les doigts, partir acheter un pack de lait et ne revenir jamais ?
Au commencement était la déesse mère, principe féminin de la fertilité, puisque les Hommes se sont assez vite rendus compte que leur vie venait des femmes – sans pour autant intégrer immédiatement le rôle du mâle et de l’acte sexuel dans la procréation. Cette mère de fertilité est représentée avant le début de l’Histoire en nudité frontale, opulente, callipyge : la Vénus de Willendorf, statuette de pierre du Paléolithique Supérieur (datée de -25000). La figurine est précieuse, car c’est la première image féminine en 3D aussi détaillée. A la fois réaliste, et impersonnelle : son visage n’est pas représenté, mais ses formes sont clairement celles d’une femme d’âge mûr. On l’appelle comme ça du fait de son lieu de découverte. Et par abus de langage qui tendrait à faire de toute femme représentée nue une Vénus, un canon esthétique. Si ce n’est pas une déesse, il s’agit a priori d’un objet rituel. Une big mama qui inspire encore aujourd’hui, et fait figure d’égérie pour des mouvements body positive, des femmes grosses et fières de l’être – à une époque où seuls des corps féminins éternellement jeunes et longilignes sont surmédiatisés. A ne pas confondre avec la comédie grasse farcie de clichés Big Mamma (2000), réactualisation policière et potache de Miss Doubtfire (1993) : deux comédies où des hommes se travestissent en grand-mère et nourrisses et tentent de séduire des femmes par la même occasion (because why not ?).
L’idée de la féminité source de vie traverse de bout en bout l’Histoire des religions et des images, jusqu’à nos jours et au concept de féminin sacré. Une maternité tantôt désincarnée, idéalisée, ou tantôt animalisée, sexualisée. « Je ne suis qu’un animal déguisé en madone » dit encore Clara Luciani dans son tube de 2018, La Grenade. Elle est aujourd’hui plus que jamais objectifiée. Elle est carrément une gamme de produits alimentaires, Bonne Maman. Mange ta maman, sur une nappe Vichy. Car la mère sert le marketing de l’authenticité. Une filiation indiscutable. Dans les domaines les plus inattendus : comme en mode la marque Comptoir des Cotonniers, qui a inauguré l’idée d’un marketing mère/fille. Aussi le mythe fondateur de la Rome antique, en guise de programme politique, ce sont ainsi les frères Romulus et Remus recueillis par une mère louve – pas la même que Mowgli, mais toujours aussi bonne patte. Les mères sont partout. Avec aussi des occurrences du concept de maternité aussi circoncises que la Naissance du monde, de Gustave Courbet en 1866 : une métonymie violente de la féminité, un morceau de corps comme screenshoté et abruptement cropé, qui dit son caractère fantasmatique et fertile. Fantasmatique aussi parce qu’encore en 2019 une bonne partie des mecs cis ne savent pas bien la cartographie du sexe féminin, ni le mode d’emploi. Or il faut bien ramoner l’abricot comme dirait Colette Renard, pour faire de la confit… des bébés.
En tension entre ces deux pôles, désincarné et bestial, a existé l’Artémis d’Ephèse, droite comme un I et parée d’une multitude de seins. Elle est la déesse de la nature sauvage, de la chasse, mais aussi des accouchements. On la représente ainsi en Ionie car elle reprend sans doute les traits des divinités d’Asie mineure qu’elle remplace. Artémis est une divinité grecque farouche et dominatrice, liée au monde végétal, dont le culte remonterait à l’adoration de la Terre-Mère. Elle hériterait donc des Déesses mères qui l’ont précédée en Anatolie et en Crète d’une multitude de seins sur son corps, qu’elle porte comme une parure. On ne sait d’ailleurs si ce sont véritablement des seins, où d’autres organes, masculins – oui Artémis est exigeante – ou des fruits. Artemis serait- elle la première mysandre ? L’idée de la mauvaise mère a essaimé elles aussi d’autres images dans nos inconscients, avec la fameuse marâtre des contes. Bruno Bettelheim en parle dans la Psychanalyse des contes de fées (1976) et son travail de recherche. Car le stéréotype de la mère farouche et castratrice a fait frétiller l’imagination des psychanalystes comme lui, expliquant la schizophrénie ou l’autisme d’enfants par des « mères réfrigérateurs ». Heureusement, on sait maintenant que les mères d’enfants atypiques ou même chiants ne sont pas nécessairement des mauvaises mères.
Aujourd’hui les stratégies commerciales ont intégré la diversité des mères dans leur agenda, s’adressant à elles prioritairement par l’affect. Selon l’étude Go Mums de Mediacom, la figure maternelle est polymorphe ; elle en présente 4 catégories : la « moi- man », qui se définit d’abord comme une femme ; la « maternante », mère avant tout ; « l’influencée », émancipée d’une culture traditionnelle mais qui cherche à contenter tout le monde ; « l’autonome », dont la maternité n’impacte pas sa vie antérieure. Par ailleurs une mère, se définit par le fait d’avoir mis au monde un/plusieurs enfant(s). Obvious isn’t it ? Mais elle peut être veuve, mariée, divorcée, pacsée ou célibataire. Il est donc malgré tout difficile de définir précisément ce marché qui a une cible hyper- segmentée, couvrant plusieurs classes socio-professionnelles, plusieurs âges, âge de l’enfant, etc.
Reste que la mère est nourricière, encore dans l’imaginaire contemporain. La proportion de publicités alimentaires, mettant en scène des femmes en mères parfaites est criante sur ce fait. Puisque ce serait elle la cible, la fameuse ménagère de moins de 50 ans, à qui échoit la tâche de faire à manger (et toutes les autres). Elle est encore la gardienne du foyer. Si dans une société conservatrice, le père de famille – notion juridique disparue depuis 1970, rappelons-le – est pourvoyeur de biens, le rôle des femmes demeure celui d’épouse, de matrone et d’hôtesse, celle qui veille aux besoins de son époux, de ses enfants et ses invités. De fait la mère se dévoue à leur bien-être, sans jamais l’air de s’y donner du mal ; toujours avec le sourire aux lèvres, devant des jardins verdoyant constamment, pour transmuter de la poudre en purée, détacher les vêtements en les rendant plus blanc que blanc, faire le ménage d’une main dans n’importe laquelle des réclames. Il y a quelque chose de surnaturel à pouvoir assumer ces tâches sans sourciller. On dirait que les mères ne connaissent pas l’hiver ni la fatigue, et sont sources d’un éternel printemps, d’une abondance de fait.
En fait la nature organique de cette figure pourrait être un fil rouge qui lie les concepts de maternité entre eux, à différentes époques. Rappelons que l’exégèse catholique conçoit Marie comme l’Ortus Conclusus, le Jardin Clos, faisant de la Vierge, un jardin immaculé. « Vous êtes un jardin fermé, ô ma sœur, mon épouse, un jardin fermé, une fontaine scellée. » (Bernard de Clervaux, 1090-1153, sermon XXXV). Le jardin clos est d’ailleurs la forme typique au Moyen-âge, en particulier dans l’architecture religieuse. La Vierge est donc représentée, soit par un jardin fermé, par un lys blanc ou une rose, symboles de l’Immaculée Conception. Cette obsession de pureté, régit encore dans notre culture judéo-chrétienne la perception d’une femme. Et justifie peut-être son goût pour la lessive ? Elle doit passer de la phase de sa virginité à sa phase de maternité pour être/rester vertueuse. Elle est jugée somme toute sur une échelle de valeurs entre la sainte Vierge et Marie-Madeleine, la prostituée : une dichotomie rassurante dans une société sexiste. En revanche, les représentations de la Vierge ont elles évolué dans le temps suivant les évolutions du culte marial : d’abord seulement représentée comme le trône du Christ au Haut Moyen Age, elle acquiert plus d’importance, est davantage en interaction avec lui ; elle le porte d’un bras et échange des regards tendres, et inquiets, comme dans la prescience divine du calvaire qui l’attend, et qui l’attend elle aussi. Ce dont parle le Stabat Mater, séquence musicale sur cette mère en souffrance, qui a connu mille interprétations jusqu’à nos jours, comme celle hardcore de Sexy Sushi.
Quand elle débute sa carrière, Louise Veronica Ciccone, a.k.a. Madonna scandalise parce qu’elle investit d’une charge sexuelle une figure sacrée et par définition détachée du monde physique. A la fois Marie et Madeleine. Elle rencontre la célébrité avec Like a Virgin, le programme d’une vie (qu’elle présente aux MTV Music Awards en robe de mariée courte). Elle touche au tabou car elle lie le sacré et le cul de manière pas tout à fait subliminale. Dans Like a prayer (1989) par exemple, qui parle à la fois de génuflexion et de sexe oral, elle passe à une phase plus mature de sa carrière – que le juvénile premier album, Madonna… Elle a aussi fait notre éducation sexuelle avec des psaumes à la gloire du sexe sans tabou, comme Erotica (1992), avec ses inspirations SM. Le mélange de cette figure de féminité la plus pure, intouchable et la plus sensuelle et tactile est le fonds de commerce de l’ensemble de sa carrière. Elle est clairement la muse de toutes les pop stars des années 2000, la première à être montée au firmament et à y être restée. Pour preuve le titre Judas (2011), dans lequel Lady Gaga joue les madones elle aussi, ou encore Ghost (2013) de Beyonce. Elle a aussi tout enduré pour le rôle, comme elle l’exprime lorsqu’elle est sacrée femme de l’année aux Bilboards de 2016 : « Je me tiens devant vous, comme un paillasson. Enfin, non, comme une artiste féminine. Merci de reconnaître ma capacité à poursuivre ma carrière durant 34 ans, malgré le sexisme flagrant, la misogynie constante et les nombreux abus qui ont pavé ma route. » Elle exhorte alors ironiquement les femmes à être ce que les hommes veulent qu’elles soient.
Clairement Madonna a porté au plus haut niveau cet art de la mise en scène de soi et de la polyvalence ; à la fois chanteuse, actrice, mère, écrivaine, femme d’affaire, militante. Avec des clips fournis de symboles politiques, comme American Life (2003), censuré par de multiples chaînes aux Etats-Unis. L’album-concept a ainsi marqué un tournant dans sa carrière, prêchant un désenchantement du rêve américain, un matérialisme désabusé. Ce après avoir été consacrée reine des dancefloor avec Music de 2000, auquel on a tous succombé en se dandinant. C’est le deuxième album de Madonna à porter le label « Parental Advisory » après Erotica, mais clairement pas pour les mêmes raisons… L’album contient aussi l’inénarrable Die Another Day, générique du film éponyme de 007, dont la madone devient le pendant féminin dans le clip. Celui-ci est construit comme un conflit moral intérieur, une prophétie de résurrection auto-réalisatrice, une séance de psy qui aurait mal tourné, tout ça à la fois. Un conflit intérieur mis en scène, en partie à l’ancienne, au combat d’épée manichéen, noir contre blanc, au milieu d’une réplique aseptisée du Reform Club de Londres : un des décors du film, dans lequel la chanteuse fait un cameo au cours du film… Cross-over de la mort, quand tu nous tiens. Elle est la seule des interprètes de la franchise à faire ça. Et la scène est tellement lunaire qu’on comprend que l’expérience n’ait pas été reconduite. Mais cela dit a quel point la Madone peut tout, même l’Auto-Tune. Madonna incarne incontestablement le concept d’icône pop, dans son sens le plus métaphysique. Car elle a construit sa carrière comme un mythe, créant son propre récit, réécrivant à l’occasion sa biographie, s’inspirant des idoles de l’âge d’or hollywoodien, comme l’explique Georges-Claude Guilbert dans Madonna as Postmodern Myth. En intégrant au passage dans son personnage de madone sa Némésis, la vamp. Comme les individus au quotidien, les artistes qui endossent ces imageries, ne sont pas monolithiques. Madonna n’est pas H24 cette madone, elle est plurielle, et nous montre à quel point un archétype peut être un rôle que l’on endosse, et servir un but.
Mais la madone, ce n’est pas seulement cette figure incarnée/endossée par certaines femmes, c’est aussi cette altérité féminine parfaite, rêvée par tous. La mère c’est ainsi le fantasme d’une insouciance perdue, et comme on le disait une sorte d’abondance naturelle, arcadienne. Mais aussi une forme d’amour absolu, un principe métaphysique qui nous enveloppe et nous précède. La figure de la mère parfaite racontée par son enfant, le plus souvent un auteur semble être un cliché artistique, une comptine qui a égrené tous les âges. Comme la rengaine délicieusement mièvre de Luis Mariano, Maman la plus belle du monde. Aussi le thème d’une multitude de chanteuses et chanteurs comme Louane dans Maman, Dalida avec Mama, France Gall dans Si Maman si, dans la même veine qu’Alain Souchon dans Allo maman bobo. Toutes ces chansons prennent la mère pour confidente, des troubles, des malheurs, des errances. L’exemple le plus parlant de cette élégie maternelle est sans doute Bohemian Rhapsody de Queen (1975). Une de ses raisons de son succès est le solo du chanteur, Mama. Cette composition libre de paria, rapsodie bohémienne, est un medley de plusieurs chansons, d’inspirations multiples, comme Faust ou l’Etranger de Camus. Elle serait selon Time Rice – parolier, collaborateur de Freddy Mercury – un coming-out métaphorique et flamboyant. A l’autre bout du spectre musical, aujourd’hui le challengeur de l’Eurovision, Bilal Hassani, intègre sur les réseaux sociaux sa mère au storytelling de son personnage public, comme son pilier, son roc. La mère n’est donc jamais loin.
Peut-il en être autrement ? Albert Camus écrivait en 1942 dans l’Etranger : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. » Un incipit déconcertant, « in medias res » comme on disait en classe de français (càd au milieu de choses, en pleine action) : le décès annoncé directement et de manière indifférente. Ce qui fait du héros un étranger à l’humanité. Le non attachement à la mère constitue donc un ultime tabou selon l’auteur. Et pourtant tuer la mère serait peut-être aussi nécessaire que de tuer le père. C’est ce que tend à prouver Xavier Dolan, dans son premier film, J’ai tué ma mère. A rebours, Albert Cohen, ne peut la laisser partir et inonde le lecteur d’amour filial dans Le Livre de ma mère. Peut-être finalement une litanie un peu mièvre des talents de sa mère, comme cuisinière, épouse, nourrisse. Un vrai portrait en creux. Quelque chose de ce livre met mal à l’aise. Car au-delà du portrait de cette femme, c’est un peu le miroir de l’égocentrisme de l’auteur qui se fait jour. Plus une autobiographie que l’hommage dont les universitaires pensent qu’il s’agit. De cette femme en fermant le livre on a appris peu de choses, de sa vie intérieure, de ce qui l’a fait vibrer, a occupé son esprit. Ou plus simplement de sa vie quotidienne, en dehors de la perception de son fils, en dehors de la vie duquel elle ne semble pas exister. Le titre parle d’ailleurs de lui-même, le « ma » possessif exprime tout autant la filiation que le fait qu’elle lui appartienne corps et âme. L’auteur dit lui-même : « Pleurer sa mère, c’est pleurer son enfance. L’homme veut son enfance, veut la ravoir, et s’il aime davantage sa mère à mesure qu’il avance en âge, c’est parce sa mère c’est son enfance. J’ai été un enfant, je ne le suis plus et je n’en reviens pas. » C’est donc plus le deuil d’une insouciance que de cette femme qu’il fait dans cette œuvre. Il y a dans cet amour jaloux et possessif des mamans quelque chose d’égoïste qui se fait jour en nous.
La figure de la mère chuchote si fort à nos inconscients qu’elle est utilisée à des fins politiques. Dans le livre d’Ava Djamshidi et Nathalie Schuck, Madame la présidente, les auteures font de Brigitte Macron une maman pour le président, son enfant : “Arrête de manger des saloperies !” Elle est très maternelle. » Avec cette question récurrente de la fonction de la première dame, un des marronniers de la presse politique. Mais c’est loin d’être anecdotique. Lors de la campagne présidentielle de 2007, la candidate elle-même, se présentait, avec son souci de l’éducation, sa douceur alliée à la fermeté, comme la mère de la nation. Ce qui frappait chez Ségolène Royal c’était son image, millimétrée assurément, avec ses complets blancs immaculés et ses bras ouverts. Mariale donc. Si on y réfléchit, la maternité semble un principe tellement vital pour la société, que s’il se trouve menacé, c’est l’apocalypse qui guette. C’est en gros le pitch de la saga La Servante Ecarlate (The Handmaid tales), qui montre à quel point prendre soin de nos mamans est un enjeu sérieux ! Cette dystopie apocalyptique a au milieu de sa violence crue le mérite d’interroger sérieusement la place que les sociétés modernes laissent à la femme. Avec des problématiques très actuelles : la violence faite aux femmes, l’aide apportée aux réfugiés, la violence de l’Etat, le renoncement/ la résistance individuel(le), etc. Car la Madone est aussi une lecture politique du monde, dont il faut demeurer critique. Elle est ces mères qui pleurent leurs enfants au Proche-Orient dans les médias, dont le pathos dépasse le cadre de l’information. Leur souffrance est esthétisée par le photo journalisme, voire travestie à l’aune de notre culture, comme la madone de Bentalha, prise en 1997, qui pleurait en réalité son frère… Malgré son omniprésence, elle ne résume pas toutes les femmes.
La madone est cette femme cosmogonie, l’origine du monde. Elle est paradoxalement cette femme intouchable, femme enceinte, comme une forteresse imprenable, qu’il faut pour les hommes conquérir et posséder. Une de celles qui rend le corps de la femme « empêtré d’immanence », comme cadenassé, empêché ou là pour être vu, selon la philosophe Iris Marion Young. De fait elle porte en elle tous les carcans que les femmes doivent porter dans la répartition traditionnelle des genres : chasteté, charité et humilité. Elle fait de chaque femme le parangon de l’autre. Un idéal impossible, inhumain, comme la mère robotique d’Umbrella Academy, qui en devient monstrueuse et inquiétante de perfection. C’est peut-être elle la figure que les femmes doivent aujourd’hui abattre pour se libérer. Ne serait-ce que sur le simple fait de ne pas vouloir d’enfant, qui semble encore aujourd’hui être problématique. Sans parler des hommes qui en voudraient, souhaiteraient s’en occuper et assumer la charge mentale du foyer. Car le travail domestique, trois fois plus effectué par les femmes, même s’il est sous- estimé par la société constitue un vrai travail, mais non rémunéré. Sauf peut-être, une fois par an par un cadre moche en pâte à sel, pour la fête des mères… Qui sert en fait à conforter les femmes dans leur rôle de mère et les incite à s’y conformer. Rappelons qu’à l’origine instaurée à la Révolution, elle consistait à discerner les mères méritantes qui avaient beaucoup d’enfants. Elle a été fortement promue par le régime de Vichy pour soutenir l’effort de guerre, puis contestée dans les années 70 par les services sociaux, qui voyaient des récompenses d’état attribuées à des mères négligentes, sous prétexte qu’elles avaient beaucoup d’enfants. Dans un même temps, mettre fin à la prégnance de cette image sainte permettrait aussi, en amont, d’autoriser les femmes à disposer de leur corps et de parvenir finalement à la liberté sexuelle.
La madone est clairement la figure mythique entre toutes. Selon l’anthropologiste JG Frazer les mythes sont exclusivement liés à des rituels destinés à garantir la fertilité du monde végétal et animal. Mais encore aujourd’hui reconnaissons leurs tout de même une utilité publique… Les mythes ont pour fonction de structurer notre société. Ceux auxquels nous souscrivons, constituent notre système de valeurs et notre grille de lecture du monde. Et ils nous permettent d’éluder nos contradictions. Mais malgré leur beauté et leur raffinement, à quel point ils éclairent nos vies, il faut les considérer pour ce qu’ils sont : de poétiques mensonges.