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lundi, 07 mars 2016

30 going on 13

Par
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J’ai 29 ans : c’est à la fois complètement incongru - c’est presque deux fois 15 ans, l’âge que j’avais hier, et l’âge que j’ai l’impression d’avoir encore quand je suis confrontée aux «vrais» adultes -, et à la fois particulièrement évocateur: ce «2» me rattache encore à ma vingtaine, cet âge où il est permis de ne pas savoir où l’on va. Ce «2» est mon sursis. Et ce «9» me rappelle que le sablier est presque complètement écoulé, que je ne pourrai plus faire semblant encore longtemps de ne pas comprendre ce qu’il m’arrive. Parce qu’en effet, seuls quelques malheureux mois me séparent de ce couperet impitoyable, celui des 30 ans. Pire, techniquement, je suis déjà dans ma 30ème année de vie.

J’ai fini par comprendre que la symbolique un peu lourde de ce chiffre devait être tout à fait supportable quand on sait ce que l’on veut, quand on a le sentiment d’avoir fait des trucs constructifs de cette décennie écoulée depuis l’épreuve de philo du Bac. Ce qui n’est clairement pas mon cas, à part si tu mesures ça en termes de cuites, de mauvais choix, ou de ruptures pathétiques. Alors, pour moi, chaque nouveau statut Facebook annonçant une réussite professionnelle - ou tout autre rite de passage à l’âge adulte de type achat d’appartement - que cela soit anecdotique ou que cela force vraiment l’admiration, me glace le sang. Cette personne, cet(te) ami(e), a environ mon âge, peut-être un an de plus, peut-être un an de moins, et elle est passée de l’autre côté. Elle en a finit avec la précarité, ou, le cas échéant, a trouvé sa place dans la société, elle a une fonction, un but à atteindre, une raison de vivre, quoi. Et puis elle sait à peu près ce qu’elle fera dans dix ans. Elle est heureuse de l’annoncer sur le réseau social, loin de se douter du désarroi, du malaise, voire du terrible sentiment de panique qu’elle va déclencher chez moi.

C’est dans ces moments précis que je ressens violemment le décalage avec ce à quoi je suis censée aspirer, et ce que je suis censée avoir réalisé à 29 ans. Alors, c’est vrai, on est en 2016 et tous les gens ne sont pas mariés ni endettés sur 25 ans à l’approche de la trentaine. Seulement, s’il n’en sont pas là, ils sont au moins parvenus à définir ce à quoi leur vie allait ressembler, et certains commencent même à avoir des enfants. Ces gens qui ont mon âge, qui sont donc effroyablement jeunes, que je pensais pouvoir qualifier d’immatures tout comme je pense l’être, ces gens font des enfants. «Babies having babies»? C’est plus déstabilisant encore que cela, c’est comme si ma génération m’échappait: mes camarades me trahissent, me laissent seule au fond de la classe comme la gamine au sweat DDP trop grand que personne ne voulait dans son équipe de handball, sur le terrain de sport du collège Anatole Le Braz en 1998. Parce que, oui, à 29 ans, tu t’attends à ce que cette conspiration frappe à tout moment: tel un repris de justice en cavale, sur le qui-vive, tu finis même par soupçonner ton propre frère d’avoir des velléités reproductrices alors qu’il n’a le droit de vote que depuis quatre ans.

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Car moi, à trop vouloir que le champ des possibles reste aussi large qu’il puisse l’être, aussi longtemps que cela soit imaginable, je me trouve bloquée dans un entre-deux, une sorte de période de transition sans fin qui implique une inertie complètement contre-productive. Tout est encore possible, quand on retarde le moment terrible du choix, mais en attendant, rien ne se décide, rien ne se fait. Ainsi, je m’emploie depuis désormais plus de 10 ans à faire durer cette vie étudiante que tout le monde semble vouloir comparer à un sacerdoce (sauf moi, bien sur), à avoir des «jobs» pour ne pas avoir à choisir un «vrai métier», à multiplier les reprises d’études qui ne mènent jamais vraiment nulle part… A attendre que la Vraie Vie me tombe dessus, tout en mettant absolument tout en oeuvre pour que cela n’arrive pas, ou le plus tard possible. Cela dit, tout ceci ne constituait pas un réel problème à mes yeux jusqu’à ce que je sois frappée d’une épiphanie bouleversante: le temps m’est compté.

Je peux dater cette révélation avec une relative exactitude: le jour où j’ai refermé «Les Années» d’Annie Ernaux, un dimanche matin de mars 2014, en partie aveuglée par les larmes. Ce jour-là, j’ai réalisé pleinement que je ne serai pas jeune pour toujours, et que je ne pourrai plus chanter «Forever Young» d’Alphaville à 5 heures du mat’ en after en continuant à y croire vraiment, aussi insensé que ça puisse paraître. On le sait tous, bien sur, on n’est pas idiots: on va vieillir, puis mourir. Mais le réaliser vraiment relève d’une prise de conscience à part, brutale, irréversible - du moins cela a été le cas pour moi. Un passage, en particulier, me hante sans relâche, tant il est incongru que l’adolescente fan de Placebo que j’ai été ait 30 ans cette année:

«Elle se représente ici, dans dix ou quinze ans, le caddie rempli de confiseries et de jouets pour des petits-enfants qui ne sont pas encore nés. Cette femme lui paraît aussi improbable qu’à la fille de vingt-cinq ans paraissait la femme de quarante qu’elle ne pouvait pas imaginer être un jour et qu’elle n’est déjà plus.»

Je peux affirmer avec certitude que j’étais plus heureuse avant cette prise de conscience: «ignorance is bliss», qu’ils disent - et ils n’ont pas tort.

C’est pourquoi, assommée par l’inexorabilité de cette issue, mais à la fois incapable de rentrer dans le rang pour autant, et surtout prête à tout pour continuer à mener ma fausse vie d’adolescente, je cherche le réconfort dont j’ai besoin auprès des «vrais» vingtenaires. Parmi eux, au moins, je n’ai pas la perpétuelle sensation d’être Jennifer Garner dans «13 Going On 30», cette gamine paumée dans une vie d’adulte incompréhensible à ses yeux - mais sans Mark Ruffalo: c’est à dire une situation plutôt naze, vous en conviendrez. J’ai donc cru que mon salut résidait dans le simple fait de sortir avec un mec né l’année de l’inauguration d’Euro Disney (j’y étais, j’avais 6 ans) et de m’entourer d’individus qui associent mon année de naissance avec un vague désastre nucléaire en URSS relaté en cours d’histoire-géo. Evidemment, rien n’y fait, ces derniers ne font que me renvoyer au fait que je savais déjà correctement orthographier le mot «désespoir» quand ils sont venus au monde.

Mais finalement, est-ce vraiment si grave de ne pas trouver sa place? Car si elle n’est nulle part, elle est aussi un peu partout, non?

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Annie

Annie est née en 1986 et porte encore son t-shirt Marilyn Manson, acheté en 2001 à Châtelet Les Halles. Je n'ai pas trop compris où Anna et elle s'étaient rencontrées, mais nos chemins se sont recroisés ensuite plusieurs fois, et on m'a demandé de la pousser pour qu'elle fasse des articles pour nous. Une grande idée. Actuellement surveillante et maîtresse d'internat, Annie n'oublie pas d'être drôlement cool, et d'écrire drôlement bien. On a besoin de quoi de plus, hein, sérieusement ?

Élise

Elise a 23 ans et une passion pour le Blind Test. Après avoir grandi à Lille puis à Toulouse, elle réside maintenant à Paris où elle essaie de gagner sa vie en dessinant des Mickeys. Comme c'est pas toujours facile, elle est aussi surveillante dans un collège à mi-temps et rêve de devenir Isabelle Adjani avec les cuisses de Beyoncé (j'arrive pas à visualiser vraiment, mais le résultat doit forcément être super).