Il est 6h30 je m’allonge dans le brancard de l’ambulance, j’aperçois mes Nike air max neuves, je les trouve belles, j’ai mal, je gémis, l’ambulancière me dit que je peux serrer sa main aussi fort que je veux, je la regarde, respire, lui réponds qu’elle n’y ait pour rien et que donc je ne lui broierai pas la main.
L’ambulance bombarde, crame les feux, j’entends des crissements de pneus je réalise qu’on vient de manquer de se faire rentrer dedans par une voiture, on arrive à l’hôpital, je sens un truc monter, demander un récipient pour vomir, immédiatement je retrouve mon dîner de la veille dans le haricot en carton marron qu’on venait de me tendre.
J’ai mal par accointance, mais ça va, ça se durcit puis se relâche, j’ai mal puis plus, je rigole, je sers les dents, on me dit qu’on va me faire la péridurale, j’ai peur, qu’on me loupe et d’être paralysée. J’appréhende depuis longtemps ce moment-là, on me demande de faire le dos rond « comme un chat » comment tu veux que je fasse le dos rond avec un ventre aussi gros que le mien, j’essaye, mon ventre se durcit, bim bam boom, on me pique, on me couche, ça va mieux, l’hôpital est en travaux, la salle dans laquelle on me met est au rez de chaussée, le mec dont je suis enceinte est là, il va il vient, moi je réalise : cet enfant qui va naître va être une nouvelle personne dans ce monde, j’ai 21 ans et je me rends compte qu’en plus d’avoir la responsabilité de cet enfant, j’ai une responsabilité vis à vis du monde, des autres, de faire en sorte que ce soit une bonne personne, que je dois faire en sorte qu’elle ne fasse pas de mal, qu’elle ne blesse, ne tue personne, que par moi, vient une nouvel être qui deviendra un adulte, et que je dois faire en sorte qu’elle soit une bonne personne. Ça me vient là comme ça, je n’y avait pas pensé avant, pourtant j’en avais eu du temps, neuf mois, un peu moins, trois jours de moins, ça fait quand même de quoi réfléchir mais je n’y avais pas pensé, je m’endors. Je me réveille, je suis défoncée, mes copines m’appellent, je leur dis à quel point je suis défoncée, la péridurale, opiacée, injectée directement dans la moelle épinière, je suis tellement entrain de planer qu’elles ne réalisent pas que le travail a déjà commencé. La journée passe, je suis sereine, on me demande d’enlever mon vernis, ça m’emmerde, celui des mains, celui des pieds, on me ramène du dissolvant, les règles bidons ça m’a toujours fait chier, a force d’insister je me laisse faire, les sages femmes m’enlèvent le vernis rouge que j’avais méticuleusement appliqué en prévision de ce moment. Ce joli moment tant attendu. J’attends, les sages femmes passent de temps en temps, posent des électrodes, m’auscultent, des gynécos aussi. On me dit que ce n’est pas pour tout de suite, que « ce n’est pas assez ouvert » puis les sages femmes reviennent, elles disent que maintenant on doit y aller, « poussez! » comment je pousse ?, et puis quoi ?, je ne sens plus rien, jusqu’à mon abdomen, mais j’essaye, je « pousse », elle se présente bien mais ne sort pas, les sages femmes sortent un gynéco arrive, puis un second, ils s’emparent de « cuillères« , deux longs morceaux de métal, les enfoncent je les sens jusqu’à mes amygdales. « Poussez« , bah ouais je pousse, mais je ne sais pas quoi, je suis silencieuse, laisse échapper quelques gémissements, pousse, ça devient compliqué, « on voit la tête« , ils l’extirpent, je la vois, je pousse et je pleure, regarde celui qui est maintenant son père, il pleure aussi, je la regarde à nouveau et là, ce qui a du être une fraction de seconde est comme un quart d’heure : Safia à cet instant précis tu dois prendre une decision, soit tu la prends sur toi, l’accueille, lui donne le sein, et jure de t’en occuper de l’élever, la chérir toute ta vie de toutes tes forces, soit tu ne t’en sens pas capable et sans même la toucher tu la laisses aller vivre ailleurs la belle vie qu’elle mérite. Je regarde ce petit être velue jusqu’aux fesses, et décide : J’assume jusqu’à la mort.
Je la prends, je pleure, c’est le moment le plus intense que j’ai vécu, plus rien n’existait, rien, un tourbillon, un ouragan, et au milieu la vie. Il etait 18h30.