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lundi, 19 septembre 2016

Bienvenue dans le monde merveilleux des râteaux 2.0

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Après cinq mois de voyage en Asie du Sud-Est et fraîchement célibataire je suis enfin de retour sur Paris pile pour le mois de mai le plus pourri depuis 1956 la saison des amours. Si ce périple en sac à dos a été une expérience — sélectionner au choix : “incroyable” — “enrichissante” “ — “épanouissante” à plusieurs points de vue j’étais un peu à court d’anecdotes croustillantes à raconter à mes potes en rentrant. En effet, contrairement à mes folles attentes, voyager en solo n’est pas synonyme d’enchainer les aventures avec des sosies de Gael Garcia Bernal. En fait ta vie sentimentale risque fort de ressembler à un miroir grossissant de ta vie “normale” avant le voyage. Donc si l’idée de regarder dans les yeux du petit mec sympa là-bas te transforme en flaque tu ne vas pas devenir super extravertie et faire des oeillades sensuelles à tout va en enchainant les conquêtes une fois à 8000 kilomètres de chez toi. Et vice versa. Autre détail problématique pour mon épanouissement sentimental et sexuel en sarouel (je sens que je vais finir en enfer pour avoir osé faire rimer ces deux mots, paix à mon âme) : je n’attire pas ceux qui font irrésistiblement fondre la midinette en moi, soit les beatniks ténébreux et les beaux grimpeurs suisses aux yeux verts perçants (oui c’est précis). C’est peut être parce que je ne connais aucun poème de Pablo Neruda par coeur ou que je ne sais pas jouer du Ukulélé mais j’ai beau arborer mon plus beau pantalon à motifs éléphant ils restent généralement de marbre face à mon charme irrésistible (comprendre : mon charme de baroudeuse couverte de piqures de puces et tellement luisante de sueur par 45° que leur indifférence était peut-être juste liée au fait qu’ils m’ont prise pour un miroir…) Les seuls qui daignent essayer de me séduire sont les backpackers relous dont la seule passion est de se dandiner sur du Avicii en maillot de bain fluo à la Full Moon party. Ceux qui me connaissent savent à quel point cette vision me fait presque autant frissonner de dégout qu’imaginer David Guetta au stade de France.

Backpackers en Asie du Sud est : expectations vs reality

Autant dire qu’après un an et demi en couple et cinq mois de quasi disette (on va pas se mentir j’ai quand même réussi à tirer mon épingle du jeu une ou deux fois in extremis avec des garçons plutôt mignons ne rentrant dans aucune des deux catégories mentionnées ci-dessus) j’attendais avec impatience mon retour dans le « game » de la drague parisienne. Un peu timide sur les bords et au milieu je suis une grande handicapée de la drague dite « de comptoir » ou “damidamis” mise à part quand j’ai un gros coup dans le nez. Pour préserver mon foie c’est tout naturellement que je décidais d’explorer le monde merveilleux des applications de rencontres.

Première étape : j’installe Tinder et commence à swiper frénétiquement à m’en faire des courbatures au pouce. Au début je suis fascinée par la jungle de possibilités qui s’offrent à moi et, magnanime, je « petitcoeurvertise” (du verbe du premier groupe “Petitcoeurvertiser”. Synonyme : swipdroitiser) au taux extrêmement élevé de 3,2% au doigt mouillé (au cas où vous en douteriez cette statistique 96,9% bullshit).

Malheureusement dès qu’un de mes “matchs” engage la conversation je suis atteinte du syndrome du « retropédalage ». Explication : après avoir reconsulté le profil de celui qui a pourtant tout donné avec un début de conversation hyper original dont on sent bien qu’il s’est torturé à se faire des noeuds de marin dans les synapses, je m’aperçois de mille petits défauts et décide que, non, finalement, ça ne vaut pas la peine d‘échanger (et encore moins de se rencontrer).

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Prix de la meilleure phrase d’accroche ever

Hercule (pour protéger l’anonymat de mes matchs j’ai décidé de donner à ces jeunes hommes des noms de héros ou dieux de la mythologie grecque, en espérant que ça me rachète un peu de karma) a beau faire de l’anthropologie il pose avec une paire wayfarers roses fluos qui lui donne un air d’adolescent attardé. Adonis n’est pas mal du tout sur cette photo où il donne à manger à un bébé lama (il n’y a que deux bébés animaux côte à côte qui soient plus mignons qu’un homme et un bébé animal côte à côte #théorie). En bonus il a une description rigolol (« photos trompeuses… en vrai je suis moche et en relief”)(je viens de me rendre compte que j’avais lu “moche et sans relief” ce qui était bien plus drôle) MAIS sur une autre de ses photos il porte un polo et, pas de chance, j’aime pas (ça me donne toujours l’impression qu’on va me forcer à jouer au golf et passer mes vacances à Deauville). Next. Zeus est très mignon (en plus il pose avec une peluche deBoo, preuve d’un goût affirmé en matière d’animaux mignons) mais il a le malheur de me contacter à 22h48 ce qui sent à plein nez le mec désespéré. 22h30 à la limite mais 22h48 tu es grillé Zeus ! (de toute façon les Zeus sont tous des coureurs de jupon, c’est bien connu). Dionysos me fait fondre sur sa photo où il pendouille d’une fenêtre (il aime prendre des risques inutiles, ça nous fait un point commun), mais se décrit comme « hédoniste » et ça, c’est rédhibitoire. Les garçons, arrêtez de vous définir comme « hédonistes”, on sait que c’est juste une manière de dire que vous aimez le sexe, le vin et la bonne bouffe. Sauf qu’en vrai on a l’impression d’entendre notre petit frère en seconde qui crie : “je suis un mec yolo LOL”. Si tu crois que ça qu’avec cet adjectif pompeux tu dégages une aura mystérieuse et que la fille va t’imaginer en train de gober des grappes de raisins d’une main et caresser heu… ton chat persan de l’autre tu te mets le doigts dans l’oeil. C’est comme ceux qui se disent « sapiosexuel”. On se doute que tu es un minimum intéressé par l’intelligence des gens sinon ça ferait peur. « Ho moi ? Je suis fessosexuel » Nobody ever said (sauf peut-être Kanye West). Apollon est canon, a vécu à Berlin et porte quasiment les mêmes lunettes hipsterisantes que moi. Bémol : notre seul pote en commun c’est ce boulet avec qui j’étais en école de commerce ce qui en dit long sur ses mauvaises fréquentations. En plus il a l’air très petit sur la photo et faisant plus d’un mètre quatre vingt je risque de lui faire peur (ou de lui marcher dessus sans faire exprès).

Pour palier à ce syndrome de “retropédalage” qui fait perdre du temps à tout le monde je décide de scruter en détail chaque profil en me forçant à me poser cette question : « si ce garçon te match vas-tu vraiment VRAIMENTavoir envie de lui parler ? » En appliquant cette nouvelle stratégie je ne petitcoeurvertise plus qu’au taux minuscule de 0,31% .

Le premier à passer à travers mon filtre draconien est Hadès. J’aime bien son physique intelligent, sa houpette bleue et sa description très snob assortie d’un emoticon poulpe, je me dis qu’on risque de furieusement bien s’entendre.

S’ensuit la conversation suivante :

MERCI Hadès pour ce moment et pour tous les faux espoirs (mariage champêtre, carte famille nombreuse, retraite au Portugal avec notre labrador champion de snorkeling…) que tu as fait naître en moi.

Entre temps j’ai matché avec le beau gosse de ma classe de seconde (merci à nos cinq « amis en communs » qui m’ont mis la puce à l’oreille parce que la seconde c’était juste à l’époque où on avait encore le minitel et qu’on a quand même pas mal changé physiquement). Ce genre de mec que toutes tes potes regardaient en bavant parce qu’évidemment il était guitariste dans un groupe de rock et qu’en plus il ne se la pétait pas (trop). Sans surprise et à mon grand soulagement il ne se rappelait pas de moi. Il faut dire qu’à l’époque ma passion était de collectionner les posters de Matrix et les boutons d’acné. Je suis d’ailleurs convaincue que Larousse aurait utilisé une photo de moi pour illustrer « Bolosse” si le terme avait existé à l’époque.

Mais vu que j’ai très très peur qu’il tombe sur cet article et que ses chevilles ne passent plus les portes je vais arrêter ici le récit de ce “match” improbable.

Note : Si par hasard tu lis ces lignes et que tu es une jeune demoiselle en seconde portant encore des chaussures à scratch et dévorant des mangas dans les toilettes à la récré sache qu’il y a peut-être encore de l’espoir avec Eros le BG de la Seconde Lisbonne. Il faudra juste s’armer d’un peu de patience (une bonne décennie minimum) et d’une appli de rencontre (attention ça ne marche pas si tu es fan d’EnjoyPhoenix et de Justin Bieber , faut pas abuser non plus).

Deuxième étape : une semaine après Tinder qui n’a pas rempli ses promesses j’installe Happn. Première impression : on est tout de suite plus dans l’entre-soi du boboïsme parisien, géolocalisation plus précise oblige. Un peu trop d’ailleurs. Ca ne faisait pas cinq minutes que j’avais téléchargé l’application que je recevais sur Facebook une capture mettant en avant mon profil de la part de mon ex accompagné d’un message qui ferait rougir le capitaine Haddock.

Pas échaudée par cet épisode traumatisant je continue la quête de mon dieu grec/startupeurs/designeurs/freelanceur/art directeur/journalisteur/médecinsansfrontièreur/slasheur. Après un ou deux jours de scrollage, un beau jeune homme, (appelons-le Poseidon) me tape dans l’oeil. Il est journaliste et, à l’inverse de 99,99% des profils ses photos s’orchestrent de manière parfaite. On sent le pro du selfstorytelling : une première photo un peu pro de face (« salut je suis beau gosse ») une photo où il est déguisé en marin avec un pote (« kikou je suis fun et j’ai des amis”), une photo avec Mark Wahlberg (“je traine avec du beau monde») et une photo de lui à l’antenne (« j’ai un très (gros) beau micro »). Le tout avec assez de naturel pour qu’on ne sente pas le mec qui ne fait pas que se regarder le nombril. Je sens les forces de l’univers qui me poussent à prendre mon clavier à deux mains pour proposer un verre aux alentours de notre point de « rencontre » qu’Happn a gentiment localisé. Poseidon répond du tac au tac qu’il est dispo le mercredi suivant. Pour notre première rencontre IRL je suggère un bar sympa à Château rouge. Il plussoie : il vient justement d’emménager dans le coin et meurt d’envie de découvrir de nouveaux endroits. Emballé c’est pesé.

Mercredi soir. Je bois quelques verres avec une amie pour me donner du courage. C’est mon premier (semi)blind date et j’ai les chocottes (“et si c’était un complot de mon ex pour me kidnapper et me torturer dans une cave en Norvège ? » me susurre mon esprit pas du tout paranoïaque). J’arrive déjà un peu pompette avec les quelques minutes de retard réglementaires. Première surprise : il est encore plus mignon que sur les photos (il a des FOSSETTES). Ma pote qui avait inspecté son profil et lâché un cinglant « nan mais fais gaffe il a grave un physique de petit » s’est bel et bien trompée (ce que je m’empresse de lui textoter. Ca et le fait qu’il ne semble pas être pas un kidnappeur norvégien). Calés en terrasse la conversation va bon train. On aime tous les deux la Cantada un bar à d’absinthe gothique du 11e, aller au Louxor et plein d’autres trucs qui me font rêvasser secrètement, la bière aidant, que Hera et Athéna (nos futures jumelles) héritent de ses fossettes. En bon gentleman il me prête son caban quand il voit que je grelotte (remember ce milieu du mois de mai où il faisait -3°). C’est aussi la première fois qu’il rencontre quelqu’un via Happn et je décide avec magnanimité de le croire (non pas que le contraire m’aurait échaudé mais on aime tous se sentir unique). Je me dis qu’il est quand même super mignon et que comme première expérience ça aurait pu être bien pire (il aurait pu me laisser mourir de froid et trouver les bars gothiques complètement ringards). Vers minuit on décide de rentrer. Dans le Uber nous nous autocongratulons sur la réussite de ce premier rencard à tel point qu’au moment de se quitter on commence déjà à faire des plans pour se revoir qui se concluent par un optimiste « à demain ». Un « à demain » que j’accessoirise de deux bises sur les joues et d’une tape dans le dos (véridique) parce que, quand même, on a presque élevé les cochons ensemble (et que quand un garçon me plait je commence à me comporter comme Mr Bean et adopte — Option 1 : une stratégie d’évitement (jefaiscommesitunexistaispasmaisenvraijemeliquefie) Option 2 : une attitude de franche camaraderie, deux tactiques — alerte tips séduction ❥❥❥— qui n’ont jamais faites leurs preuves).

Le lendemain je ne reçois aucune nouvelle de la journée. J’envoie quand même gentiment un texto prévenant que, finalement, ça va être compliqué de se voir le soir même. Ce à quoi il répond que « de toute manière je suis trop fatigué ». Pas refroidie par ce premier affront je propose un ciné le lendemain. Réponse : “je suis pas là ce weekend, la semaine prochaine ? ». Quand je relance en début de semaine il me dit « être en tournage toute la semaine ». Je jette l’éponge.

Bien que frustrée j’apprécie l’élégance de Poseidon pour ne m’avoir pas ghosté purement et simplement mais je donnerais son poids en bière à la personne qui m’aidera à comprendre ce qui s’est passé entre le « A demain » plein de promesses et le « bah nan j’ai piscine tous les soirs jusqu’en 2019, déso”.

Pour avoir des amies célibataires adeptes de ces applis de rencontre je sais maintenant que c’est une chose extrêmement courante et qu’il ne faut pas que je me fasse seppuku. Elles m’aident à dédramatiser en m’expliquant que j’ai juste été baptisée dans le bain béni des râteaux 2.0. Plus que baptisée, je crois que ça m’a carrément vacciné. Depuis j’ai décidé de redonner une chance à la drague dans la vraie vie, mon foie est ra-vie.

Amina Bouajila

Amina est née en 1989 et possède un VTT tout dégueu qu'elle aime pourtant d'un amour fort. Détentrice de tous les diplômes coolos (BTS Graphisme Print + Equivalence aux Beaux-Arts + Formation de plasticienne aux Arts Déco), elle illustre beaucoup et tatoue aussi en handpoke, en attendant de voir Marilyn Manson sur scène et de vivre de son travail. On croise les doigts pour elle.