Ma chère, ma très chère Buffy,
Il y a dix ans, tu m’échappais. Pour toujours. Après sept années d’une liaison sans nuage, tu me plantais là, sur l’aire Courtepaille de l’autoroute du bonheur. Le temps n’y fait rien, mon cœur reste une plaie dont j’arrache fiévreusement les croûtes à chaque fois que j’ai la faiblesse de regarder l’une des innombrables rediffusions dont tu fais l’objet. Pire, dans certains moments où la douleur est trop forte, je me jette de moi-même dans la gueule du loup et stream jusqu’à l’indigestion les épisodes qui firent jadis mon bonheur. Ils sont aujourd’hui les rappels cruels de cette période bénie où tu venais me rendre visite, le samedi soir, après le pénible caméléon Jarod. Ces moments d’extase sont devenus mon supplice. Aujourd’hui, j’ai trouvé la force de t’écrire mon amour, de te l’expliquer du mieux que je peux, en espérant que ce déballage agisse comme un exorcisme. Tout dire, pour t’oublier. Au moins pour un temps.
D’une, t’es bonne. Ça peut paraître un petit peu gras comme argument, mais c’est l’unique raison pour laquelle je t’ai regardée, la première fois ; le déclencheur, en somme, de notre romance. Sous les traits de Sarah Michelle Gellar, tu as illuminé le téléviseur familial et quelques-uns de mes plus esthètes neurones. Là où Faith, Harmony ou Cordélia présentaient des plastiques parfaites mais fades, tu as su, toi – comme toutes les vraies belles femmes -, te parer de défauts minimes, ajoutant au très aimable aspect de ta personne cette qualité inégalable : la tendresse. Par ce biais, tu rentrais dans la catégorie des personnes dont on tombe amoureuse, de celles qu’on rêve d’enlacer, d’embrasser, de chérir. De celles, enfin, qui nous font pisser sur les playmates FHM, en rigolant bien fort de leur physique parfait mais sans ces aspérités nécessaires qui permettent au cœur de s’accrocher.
À cette douce vision, tu as eu la courtoisie d’ajouter la normalité. Oui, bien sûr, tu es La Tueuse, ce qui implique fatalement quelques différences avec tes petits camarades. N’empêche. Tu as quand même réussi la prouesse de nous faire croire que tu n’étais pas populaire - comme nous -, que tu avais des amis tous pourris - comme nous - et que tu n’avais pas de thunes - comme nous. Ce qui, pour une série sur M6, relève de la gageure. Mieux, en dehors de tous ces trucs de tueuse, il t’arrivait aussi des choses normales : te casser la gueule, vivre dans une ville à la con, bosser à McDo, pas réussir des trucs. Comme nous là encore. Et d’un coup, tu es devenue palpable. Tu restais un fantasme, certes, mais du genre que tu peux t’imaginer rencontrer. Si, bien sûr, tu étais un lycéen américain placé au-dessus de la bouche de l’enfer et pas trop rebuté par tout ce qui est créatures dégueulasses et dangereuses - que n’ai-je pas été cette personne …-, mais quand même.
Enfin, tu pétais la tronche à tout un tas de gens. Qu’est-ce qu’il y a de plus cool que ça ? J’avais évidemment un petit faible pour les mecs aux sourcils vachement froncés que tu faisais s’évaporer dans un effet spécial au top (meilleure mort télévisuelle à jamais). Mais tous tes combats, je les ai aimé, et toi avec. J’aimais d’autant plus ça, qu’en dehors de l’indéniable sensualité que tu arborais dans la baston, les démons terrassés étaient la monstruosité incarnée de la vie adolescente. Toute les nullités de cette période étaient représentés sous la forme d’acteurs portant des costumes en plastique touchants. Et toi, tu les débaroulais. Tu sauvais le monde et l’adolescence des téléspectateurs. Ou au moins, tu leur offrais ce petit moment de bonheur, cette catharsis nécessaire à la survie en milieu hostile. Tu étais ma sauveuse à moi, tu avais mon admiration.
Et puis voilà, au sortir d’une saison 6 incroyable (Que le spectacle commence et À la dérive sont les deux meilleurs épisodes de série de la galaxie) et d’une saison 7 qui l’était un peu moins, tu m’as quitté. Pour toujours. Je ne m’en suis jamais remis. Que tu me trompes avec d’autres (Riley ? Sérieusement ?), passe encore, mais disparaître de ma vie comme ça, sans un mot, sans même un post-it sur le frigo, c’était pas juste. De désespoir, j’ai passé mes samedis soirs à me farcir des séries dont le nom me fait encore froid dans le dos. J’ai même regardé Angel, en espérant que tu y apparaîtrais. Mais rien. Tu n’es plus revenue. Tu m’as laissé seul. Qui, alors pour tuer mes vampires, mes goules et autres maires de Sunnydale ? Jimmy McNulty ? Ah ouais, ok.