L’amour et l’amitié sont des sentiments tellement proches que parfois, ils peuvent amener à la confusion. Ils se confondent au point qu’on ne parvient plus à les distinguer. Car au bout d’un certain temps passé ensemble, les amis finissent par occuper une place importante, ils deviennent une deuxième famille. Ce sont des choses que l’on dit sans vraiment y penser, mais « deuxième famille » est une expression qui veut tout dire. Votre famille, vous ne la choisissez pas, vous restez attacher à eux quoi qu’il en soit. Même si vous les méprisez, détestez. Ils sont une partie de vous. Ils sont comme un deuxième cœur situé en dehors de la poitrine. Même si elle n’occupe qu’une seconde place, si vous parlez de vos amis proches comme d’une seconde famille, vous les hissez au même rang, ils se retrouvent eux aussi attachés à ce deuxième cœur qui bat, juste-là aux vues et aux su de tous. Il se voit lorsque vous voyez le visage de vos parents qui vous attendent sur un quai de gare, tout comme il se voit dans les gestes de vos amis lorsque vous les retrouvez, même si ce n’est que pour un café. La deuxième famille. Lorsque j’ai commencé à regarder Girls, j’ai énormément tiqué sur leurs rapports amicaux. Je ne retrouvais pas cette sensation de deuxième famille qui m’est si chère. Ce sentiment d’appartenance qui fait qu’on se sent chez soi, même à l’étranger, à condition d’être entouré d’amis proches. Je peux ressentir ce lien dans chaque épisode de Sex The City, mais je ne l’avais jamais ressenti dans la série de Lena Dunham. Leurs obsessions individuelles font qu’il est difficile de voir un sentiment de communauté. J’en étais parvenue à croire que c’était peut-être ce qui les unissait ; des délires narcissiques si forts que si elles voulaient l’imposer aux autres membres, elles devaient aussi accepter les leurs. Pourtant, en visionnant l’épisode 6 de la sixième saison, Lena Dunham est parvenue à faire bouger quelque chose en moi.
Depuis le début de la saison, Hannah, le personnage joué par Dunham, et Jessa, le personnage de Jemima Kirke ne s’adressent plus la parole. La raison du pourquoi n’a pas tant d’importance au final et cela m’évite de spoiler la série à ceux qui auraient du retard. Ce qui compte est que le lien a été rompu, qu’elles n’ont plus de scènes en commun, qu’elles n’ont jamais échangées sur la raison de cette séparation. En seulement quelques épisodes, la série a fait comme table rase de cette relation amicale. C’est en quelques sortes l’éléphant dans la pièce, les autres filles non plus ne paraissent pas avec Jessa, hormis Sohshana une fois, ils ne prononcent pas son nom. Elle a été comme rayée. Mais dans cet épisode, Lena Dunham réuni à l’écran ces deux personnages. Et en une seule scène, elle parvient à faire naître un moment de pur amour amical. Un amour qui déchire, qui se confronte au rejet face à une main tendue, mais qui est si fort qu’il semble se matérialiser. On n’assiste pas juste à ce qui se passe à l’écran, on le vit. À ce moment de l’épisode, Jessa se rend chez Hannah pour essayer de recoller les morceaux et est accueillie par une apparente indifférence. La question qui se pose alors est la suivante : lorsqu’un ami vous a blessé, déçu, et qu’il a attendu longtemps avant de revenir vers vous, faut-il lui donner une seconde chance ou lui claquer la porte au nez ? La question peut sembler évidente, mais une seule erreur, si elle a été véritablement blessante, peut totalement changer la manière dont vous envisagiez quelqu’un, même si vous étiez comme les deux doigts de la main. Que se passe-t-il en amitié, quand on a l’impression de poser sur des photos à côté d’un inconnu ? « Tu ne peux pas simplement te détacher d’une relation » commence par faire remarquer Jessa à Hannah. « Tout ce que nous avons fait ensemble était réel, que tu veuilles y croire ou non, que tu veuilles t’en souvenir ou pas. Et je suis là, et je te connais. Tu ne peux pas simplement effacer les gens. Tu ne peux pas juste m’effacer. Ça ne fonctionne pas de cette manière », continue-t-elle. Ce moment de la conversation est le plus poignant de l’épisode. En une tirade, Jessa rappel qu’après avoir passé des moments avec une personne, qu’ils soient beaux ou douloureux, il est difficile de les effacer. On peut compartimenter, mais si on est honnête envers soi-même, ils ne seront jamais cet élève sur la photo de classe dont on a oublié le nom. Pas lorsqu’on a ri à l’idée qu’on finirait dans la même maison de retraire, pas lorsqu’en un seul regard l’autre pouvait vous faire rire à vous plier en deux et vous réconforter en étant simplement une présence. Parce que la présence reste même si on ne veut pas toujours le reconnaître. Lorsqu’une personne se fait amputer d’un de ses membres, il est possible qu’elles ressentent la présence fantôme de cette partie d’elle qui n’est plu. Perdre un ami cher procure, à son niveau, une sensation similaire. Vous fonctionnez exactement comme à votre habitude, mais il suffira d’un mot entendu dans la rue, d’une chanson ou d’un souvenir qui vous échappe pour ressentir cette présence. J’en sais quelque chose parce qu’il y a un an, j’ai été Hannah. J’ai été la personne qui décide de ne pas prendre la main qu’on lui tend, celle qui comme elle dit : « Tout cela n’a plus d’importance ».
Nous vivons dans des sociétés où l’on nous rappel constamment qu’il faut apprendre à faire son deuil, que c’est ainsi que va la vie. Les gens rentrent et sortent de vos existences au fur et à mesure que vous grandissez. Et les voir sortir serait juste la vie qui suit son cours. Après tout, on a grandi. Combien de fois ais-je feuilleté les albums photos de jeunesse de mes parents en leur demandant : « Et c’est qui lui ? Et elle ? ». À l’époque, j’étais effaré lorsqu’ils mettaient du temps à me répondre, lorsqu’ils ne se souvenaient plus que du surnom, ou pire encore lorsqu’ils avaient oublié leurs noms et quelque part, leur existence. Comment peut-on oublier les personnes avec qui on a passé ses premières vacances ? Avec qui on a partagé ses premières soirées arrosées ? Ceux à qui on a raconté nos secrets ? C’est plus facile qu’on ne le croit, chacun à sa routine, ont fini par se soucier des autres de moins en moins. Il y a ceux en couples ou les célibataires, chacun sortant à des intervalles plus ou moins réguliers. D’autres encore ont eu des enfants. Que peut l’amitié face à la réalité du quotidien ? Le syndrome de Peter Pan prend alors tout son sens, passer du temps sur une île entouré de ses amis les plus chers… Si on ne trouve pas l’Île du Pays Imaginaire, il faut apprendre à faire l’effort. Dans ma naïveté, et comme celle, je crois, de plusieurs membres de ma deuxième famille, j’ai cru qu’aucun effort ne méritaient d’être fait. Quand on a partagé des liens aussi forts, il nous semble impensable d’envisager que l’amitié s’entretienne, nous étions des acquis. Je me sens bête de le dire ici, mais RIEN N’EST ACQUIS. Pas même sa deuxième famille. Alors aujourd’hui, je suis là, en plein milieu de la nuit, en train d ‘écrire ces mots après mettre repassé en boucle cette scène de Girls qui m’a fait monter les larmes aux yeux. Lena Dunham n’apporte pas d’éléments de réponses. Peut-être le fera-t-elle avant la fin de la saison, mais toujours est-il que Jessa a su trouver les mots que mon ami, lui, n’a pas su ou pu, prononcer. Elle m’a fait me demander si effacer les gens étaient la solution la plus simple ou la plus difficile et si ressentir, même un an après, cette présence fantôme signifiait que je devais, moi aussi, prendre le risque de tendre la main et de me faire, envoyer paître. La question reste : suis-je prête à faire un effort ?