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lundi, 15 février 2016

Las Vegas et la fascination du vide

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Pour tout dire, c’était pas vraiment prévu. C’était plutôt dans l’air. Un plan B, une option. Alors que nous devions faire le tour de la Californie en touristes avisés et conscients des pièges que l’Amérique avait à nous offrir, nous considérions le passage à Las Vegas comme accessoire. Il pouvait passer, au pire, pour une blague potache, au mieux, pour un intéressant cas anthropologique. On pourrait d’ailleurs encore faire passer notre détour au Nevada comme l’étude d’une anomalie civilisationnelle. On pourrait. Le problème, c’est qu’on a été mangé.

Au sortir du parc national Joshua Tree – ce genre de parc qui nous fait dire, sous le coup d’une inspiration métaphysique osée, « ah, on est peu de chose, hein… » - la décision était déjà prise depuis longtemps : on va se taper Vegas. L’évidence s’était faite jour au fil du voyage qui nous menait de San Francisco à Los Angeles pour nous conduire ensuite aux paysages magistraux de l’est californiens. Au cours de celui-ci, notre arrogance touristique de jeunes bobos français s’éteignit peu à peu pour laisser place à une fascination béate pour tout ce que l’Amérique pouvait nous offrir de plus gros, de plus grand, de plus stupide, de plus brillant, de plus arrogant, de plus sympathique. Un parcours jalonné de « plus » qui construisit naturellement le chemin pavé d’or qui nous mena à Vegas. Nous voulions voir le pays dans ce qu’il avait de plus invraisemblable.

Née au milieu du désert, grâce à l’alliance entre la loi précoce (et encore très minoritaire) du Nevada autorisant les jeux d’argent et la fin de la prohibition, Las Vegas est l’exception nécessaire aux règles étasuniennes. Pour construire sa légende, l’oasis du billet vert a pu compter sur, en vrac, la mafia, les stars hollywoodiennes, Howard Hugues, Siegfried Roy, la sympathie politique, Céline Dion, le spectacle de Ronald Reagan et quelques parties de black jack en piscine. Il est bon de détester Las Vegas – et sans doute le faut-il un peu, pour garder une certaine estime de soi. Elle ne présente aucune des qualités que l’on révère dans les grands livres sacrés de l’humanité. Elle n’aidera jamais à vaincre le sida, la guerre, le racisme, le sexisme, le changement climatique, Nicolas Dupont-Aignan, ou tout autre mal de notre planète. Alors, pourquoi, bon dieu, s’est-on senti obligé d’y rester deux jours et, avec le sourire en plus (dans la limite des stocks d’argent disponibles) ?

Parce que l’individu n’est rien face à un bulldozer. Tout rempli qu’il est de valeurs fondamentales sur les droits humains, l’amour, le partage et les bisous dans le cou, que peut-il faire face à une ville qui lui propose, le même soir, Britney Spears, Céline Dion et Jennifer Lopez ? Que peut-il faire face à un gondolier qui lui offre de visiter un Venise taille nature, en plâtre, au beau milieu du d’un casino, au beau milieu du désert ? Que peut-il faire face à la station Montmartre, située dans l’Opéra Garnier, lui-même accolé à la Tour Eiffel, à un immeuble haussmannien de 100m de haut et à l’Arc de Triomphe ? Que peut-il faire, enfin, face à la possibilité d’être marié par Elvis Presley dans un Sphinx géant ? La réponse est là, qui tombe comme le ciel sur notre tête : rien.

C’est d’ailleurs ce que nous avons fait, rien, quand nous avons perdu nos dollars au craps à Paris, tout ça parce qu’on voulait être une sorte de Sharon Stone en solde. Rien, c’est ce qu’il s’est passé dans notre tête quand nous avons donné de l’argent à cette dame qui nous proposait d’envoyer un poulet dans une marmite. Pas grand chose ne s’est passé non plus, quand nous dépensâmes notre monnaie dans la machine à sous Titanic, pour les beaux yeux de Jack. Las Vegas nous offrait du divertissement pur, et on lui a laissé grande place dans notre joli vide crânien prévu à cet effet. Mais si Las Vegas n’était qu’un grand parc d’attraction au milieu du Nevada, tout cela n’aurait pas plus d’importance qu’un Disneyland à Marne-la-Vallée. Juste un endroit doté de vestiaires à cerveaux obligatoires.

Le premier jour nous avait rendu aussi cons que des mouches. On était venus lécher les néons et se faire piquer au porte-feuille. Soit. Le deuxième jour allait, enfin, donner une saveur pathétique à tout ce ramdam. Car si le divertissement est une chose, Las Vegas offre quelque chose de bien plus pernicieux : l’espoir. Ce don, que les méchants et les gentils ont en commun, est en effet sournois car il implique la confiance et le sacrifice. C’est pour cet espoir, précisément, que cette vieille grabataire est venu humer le dernier souffle de sa machine à oxygène face à un bandit qui n’affichera jamais les trois 7. La croupière du Play Play, qui passe sa soirée en culotte, le cul visible en vitrine, avait sans doute l’espoir que ses fesses ne soient pas un crachoir pour regards dégueulasses. Et cette foutue roulette m’avait quasiment juré que le jour anniversaire de ma mère allait tomber et que ces 60-dollars-que-je-voulais-surtout-pas-dépenser allaient me rendre riche. Putain. Merde. Tout cela, Las Vegas l’entretient avec ses gros sabots, sans même faire semblant, sans même le couvrir d’un voile de pureté. Dès le premier pas posé dans le premier casino, la raison a perdu. Ne reste plus que cette folie, ces lumières et cette avidité qui nous fait croire en délirantes cascades de billets verts. Vegas est déjà en train de nous digérer.

Malgré tout, reste cette fascination. Bien sûr, la ville prend un malin plaisir à venir titiller les zones putrides de nos maigres cervelles. Elle les caresse, les suce et s’en abreuve goulûment. Mais Las Vegas nous a fait miroiter l’or et la grandeur, nous a promis le divertissement à l’infini et nous a fait croire que le faux-plafond ensoleillé du Paris pouvait avoir sa part de réalité. Et si on repart de là avec la nausée et l’impression d’avoir foulé au pied toutes nos jolies convictions, il n’en reste pas moins le souvenir tenace d’avoir vu et vécu quelque chose d’extraordinaire. Le scepticisme et l’ironie que nous arborons aujourd’hui n’y feront rien : on a mis les pieds dans une cathédrale du néant et, parfois, on a trouvé ça magnifique.

Maxime

Maxime est né en 1986 et possède un puzzle de la famille Kardashian-west (HASHTAG LA CHANCE). Il est venu nous parler un jour au Baleapop en disant qu'il aimait bien Retard, et du coup comme on adore les gens qui nourrissent nos egos on est devenus copains. Un vrai coup de foudre amical, qui a fait qu'on a même aimé ses potes (n'est-ce pas Elsa hinhinhin). En vrai, Maxime, il défonce tellement que si il n'était pas de Lyon et qu'il n'avait pas cette pilosité abondante, ça ferait longtemps qu'il serait une retardette, et peut-être la meilleure d'entre nous.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com