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mercredi, 06 mars 2013

LE MONDE MANQUE D’UNE CHOSE POUR LAQUELLE JE POURRAIS MOURIR

Par
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[ Le syndicat de la dépression vous informe : quand il s’agit d’amour, l’auteur à l’origine de l’article a un peu les mêmes réactions qu’à quatorze ans. Le syndicat de la dépression vous confirme aussi que, depuis la rédaction de ce texte émis en janvier, elle va quand même un peu mieux. Fallait surement que ça sorte.]

Je traverse actuellement des périodes où j’aimerai t’écrire une lettre.
Je sais déjà ce que je mettrai dedans. Tout ce que j’ai envie de te dire, le genre de missive un peu révélatrice, bien tournée, avec, peut-être, quelques traces de larmes (des fois je m’auto-émeus, je sais, c’est pitoyable).

Il n’y a pourtant rien à faire. J’ai essayé de préparer des brouillons, ils sont cuculs et mièvres. Je finis par me cacher les yeux et je soupire un grand coup pour éviter de m’étouffer avec mon propre ridicule. Je les déchire ensuite en tout petits morceaux que j’éparpille dans différentes poubelles.

Des fois aussi, j’aimerai aller devant chez toi. Pas en mode psychopathe, non, plus comme aurait pu le faire Lauren Bacall. J’attendrai en bas qu’il se passe quelque chose, que tu me vois de ta fenêtre, que tu descendes me demander ce que je fous là. J’aimerai être bien maquillée et qu’il pleuve, mais il fait beau en ce moment. Les filles qui font ça dans les films portent des trenchs, et tu peux demander à n’importe qui, en trench j’ai l’air d’une maman catho qui part chercher son fils au karaté. Alors merde pour le trench. Et puis je ne suis pas Lauren Bacall. J’aurai vraiment l’air d’une putain de tarée qui te surveille au pied de ton immeuble. Je sais très bien en plus qu’il ne se passera rien, parce qu’on n’est pas dans un film et que tu seras surement parti faire des courses, c’est tellement anti-cinématographique de faire des courses. Je ne me rappelle même plus ton adresse pour couronner le tout.

A quoi servirait tout ça de toute manière. J’ai bien compris. Je n’insisterai pas.

Alors, entre deux reflux de tristesse et d’interrogations sans réponses, noyée dans les brouillons imaginaires de mon monologue épistolaire, je reste chez moi à lire le roman de George Gissing que m’a filé ma copine Florence, et puis je me dis que je peux nettoyer mon appartement, ça me changera les idées.

Je me dis aussi que d’ici quelques semaines, quelques mois, je penserai moins à toi. C’est ce qu’il va se passer en plus, je le sais, je ne vais pas t’oublier, non, mais oublier ce que je ressens, parce que quelqu’un d’autre arrivera dans ma tête et que d’autres trucs naitront et remplaceront ceux que j’ai actuellement pour toi. Je me demanderai comment j’ai fait pour être chamboulée autant, même si t’es un chouette garçon, que je me suis encore enflammée comme à l’époque de mes 13 ans. Avec mon autre « moi » plus normal, on se fera des bonnes blagues.
-« Alors, il s’appelle comment cette fois-ci ?
-Quel putain de cœur d’artichaut » et on rigolera bien.
Sacré moi.

Ce qui me fait peut-être le plus chier, c’est de me dire que Michel Leiris avait raison dans l’Age d’Homme quand il disait que « Le monde manque d’une chose pour laquelle je serais capable de mourir ».
Il parait que c’était plutôt une bonne nouvelle. L’instinct de survie de l’être humain contredit pourtant mes idéaux romanesques.
L’amour tel que je le conçois, fort, puissant, déraisonné est peut-être une utopie. Il n’a pas passé le vingtième siècle. Aucun personnage ne meurt de cela dans les romans contemporains. Il se remet et continue son petit bonhomme de chemin. La vraie passion dévorante n’a peut-être jamais existée, stupide invention du Moyen-Age trouvable seulement dans les volumes hors de prix de la Pléiade et dans les cerveaux diaboliques et dorénavant désséchés des grands auteurs russes et victoriens. L’espoir impalpable donné à la populace, l’un des plus grands mensonges échafaudés par les générations précédentes pour donner un sens à la vie. Ils ont mélangé l’envie des corps, la nécessité de la reproduction et la peur d’être seul et ils ont appelé ça l’amour. Tu y as cru. Tu as voulu y croire.
Tu t’es trompée.

Peut-être que le garçon qui bute, qui vaut vraiment le coup de mourir, c’est une hérésie, que le quelqu’un qui changera tout et pour toujours, c’est impossible, ça fait trop de responsabilités pour un être humain. Il faut aussi arrêter de se mentir, j’ai beaucoup trop d’ego pour placer quelqu’un au centre de mon monde.
J’ai essayé d’y croire pourtant, de me dire que c’était une question de volonté, que si je voulais que ça soit chouette avec toi, il suffisait d’y mettre de l’énergie et d’essayer de vendre du rêve. Ça n’a pas suffi. Tant pis. Ça fait mal et c’est nul, mais tu ne devais pas être le bon comme dirait ma maman, et puis ça m’apprendra à m’emballer comme une jeune vierge effarouchée. Il faut que je me rappelle de tout ça après avoir claqué la grosse porte blindée de mon appartement. C’est fou, vous partez toujours en regardant vos chaussures, l’air tout excusé, essayant courtoisement de ne pas marcher (encore) sur ce qui reste de ma dignité.

Il y a de grandes chances que ça ne soit pas toi, et que ça ne soit pas le suivant non plus. Ni celui d’après. Personne. Voilà. C’est peut-être de votre faute, c’est surement de la mienne, mais je préfère accuser les livres et les films, toujours mal traduits par les cœurs des midinettes.

Alors, à partir de maintenant, j’arrête les frais. Je ramasse tout ce que je peux et tout ce dont tu n’as pas voulu, je reprends mes sentiments et ma quête d’idéal, et puis j’essaie d’oublier ce rejet, toujours source d’interrogations humiliantes. Je vais t’en vouloir un peu, puis ça passera. Je laisserai tout ça dans un coin pendant un temps. Et, dès que je serai prête, dès que j’aurai oublié à quel point c’est dangereux et à quel point ça peut faire mal, dès que je ressentirai ce truc bizarre à la poitrine, le même truc qui s’était produit avec toi, je recommencerai.

J’essaierai de me rendre présentable et de faire comme si rien ne s’était passé. Je me rajouterai des petites étoiles dans les yeux, un sourire aux lèvres, et je cacherai avec soin tous les trucs pas beaux à voir, mon manque de confiance en moi et mes angoisses à la con sous un torrent de blagues de merde et l’énergie des gens qui n’ont plus rien à perdre.
Je mettrai aussi surement un grand décolleté.
Et j’irai présenter tout ça à cet autre.
En me répétant dorénavant que si cette fois-ci ça ne marche pas, ce n’est pas grave, ça ne le sera jamais. Je continuerais à subir avec sérénité tous ces petits trucs pourris qui accumulés forment la vie quotidienne.

Mais je sais bien que je me ferais cette réflexion silencieuse.
Ça serait bien quand même qu’il existe, ce quelqu’un pour lequel je serais capable de mourir.

Marine

Leader Autoritaire
Marine est née en 1986 et vit avec un petit chien trop mignon. Après avoir joué avec des groupes de filles ultra classes d'après les autres membres (Pussy Patrol/Secretariat/Mercredi Equitation), elle gagne sa vie en écrivant sur des sujets cools et se la pète déjà un peu. Ca ne l'empêche pas de traîner en pijama dégueulasse le dimanche en essayant de twerker mal sur du William Sheller. L'AMOUR PROPRE C'EST DÉMODÉ OKAY.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com