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jeudi, 03 janvier 2013

LE POLAR SCANDINAVE

Par

J’ai dégainé trop tard, laissé passer l’orage, attendu que tout le monde se fasse prendre au piège avant de m’y mettre et de me décider à … lire Millenium. Oui, d’accord, l’entrée en matière est un brin mélodramatique. Pourtant, Millenium, ce pavé trilogique lui même mélo-dramatique du suédois et néanmoins décédé Stieg Larson, est un succès interplanétaire — vendu à plus de 50 millions d’exemplaires, efficacement et doublement adapté au cinéma. 50 millions de copies, ça n’est pas rien à une époque où personne ne lit plus beaucoup. Ça mérite un peu de mélodrame.

Donc, j’ai moutonné, suivi la tendance, imité le commun du mortel — ce qui me coûte toujours beaucoup. Pourquoi? Parce que, comme mis en avant par tous les marketers et éditeurs de France, de Navarre et du reste du monde, c’est un polar scandinave ! Millenium (m’)a attiré parce qu’il est à ranger dans la même catégorie que les romans des -sans ordre ni prétention à l’exhaustivité (ils sont trop nombreux pour être cités)- Mankell, Indridasson, Edwardson, Westlund, Davidsen, etc.

Je ne sais pas si Millenium a attiré 50 millions et plus de couillons parce que c’est un polar scandinave. A vrai dire, je ne sais même pas s’il rentre dans la catégorie parce que, hormis le fait que l’histoire se déroule essentiellement en Suède, qu’il y neige pas mal et donc qu’il y fait très froid et que l’on y fête des choses étranges, Millenium est assez différent des autres. Mais, je sais que c’est ce qu’on nous dit sur les sites bien informés, dans les messages promotionnels. Ce qui veut bien dire que l’étiquette fait vendre. De fait, le polar scandinave se fabrique, s’édite (dans des collections spécialisées), se traduit (souvent pas très bien), se vend, se lit (probablement) et se commente. On ne compte plus les dossiers glosant sur cette catégorie de polars … et là, je me rends compte que je m’y mets moi aussi, ce qui devrait m’inciter à arrêter mais non, cela ne m’incite pas parce qu’enfin, pourquoi donc? Pourquoi donc lit-on du polar scandinave?

Personnellement, je sais pourquoi j’aime ça: en bon gars du sud qui, buvant du pastis pour se désaltérer, j’aime regarder les filles qui marchent sur la plage en maillot de bain mais je déteste transpirer et avoir chaud. Je jalouse ceux qui peuvent s’acheter de luxueux pulls en cachemire bien chauds, des bottes élégantes ou des manteaux sophistiqués et pleins de poches. J’ai ce tropisme maladif pour les paysages neigeux et froids et gris, pleins de vikings blonds et musculeux et de vikings blondes et sculpturales ainsi que pour les boissons alcoolisées que l’on absorbe pour se réchauffer et pas pour se rafraichir ; pour les intérieurs super cools, chaleureux et douillets et pleins de meubles en bois chaleureux et douillets conçus par des designers (scandinaves). J’aime le polar scandinave parce qu’il me raconte des histoires qui se passent dans des ambiances décalées. C’est tout. Je n’aime pas le polar scandinave pour le reste — le reste je m’en moque et pourtant le reste, c’est tout, c’est le coeur du polar scandinave. Pour tout dire, je n’aime pas le polar scandinave pour ce qu’il est, ce pour quoi il est écrit et ce pour quoi il est lu …

Le reste? C’est-à-dire? Formellement, des quasi-intrigues pas trop vives, pas trop sophistiquées (sauf pour Millenium, d’ailleurs), pas trop bien écrites, qui s’étirent un peu mollement, tranquillement sur des dizaines de pages, au cours de paragraphes eux-mêmes longs et molassons.Car, s’il ne se passe pas grand chose dans un polar scandinave, cela prend quand même un temps certain. Mais cela ne dérange pas tellement l’écrivain de polar scandinave ni son lecteur puisque c’est précisément le but recherch é: être bavard et s’épancher longuement dans des considérations psychologico-sociologiques. Voilà, ce qu’est le polar scandinave, son fond de commerce, sa raison d’être et la raison de son succès.

Chaque fois que je lis un de ces bouquins je pense d’ailleurs au regretté Jean-Patrick Manchette qui pestait contre ce psychologisme littéraire qui consiste à nous expliquer par le menu tout ce qui traverse l’esprit des personnages plutôt que de nous laisser comprendre ce qu’ils sont à partir de ce qu’ils font. Il est vrai qu’enlever la graisse, la chair même et ne laisser que l’os à ronger, demande à l’écrivain et au lecteur une ascèse potentiellement rébarbative (voir justement les polars de Manchette). Et c’est probablement pour cela que massivement la littérature (en général) policière (en particulier) évite consciencieusement de se livrer à l’exercice. Comme les écrivains de polars scandinaves qui, sans originalité, sans prétention à l’originalité, nous accablent d’introspections au mieux désabusées, au pire désespérées mais toujours très fouillées, sur le pourquoi du comment est-il possible que nous en soyons arrivés-là ? D’autant que les personnages sont fondamentalement négatifs, malheureux, misérables, malades, alcooliques, divorcés avec des enfants eux-mêmes malheureux, tristes, misérables (pas encore) malades et (pas encore) alcooliques quoique quelquefois drogué(e)s. Et ces bonnes gens ont toutes les raisons du monde d’en être arrivés là: ils vivent dans des sociétés qui ont été construites pour faire le bien de tous, qu’on nous a d’ailleurs vendues et vantées comme des modèles, mais qui ont (auraient, disons) complètement et lamentablement échoué. Car le polar scandinave ne nous explique pas des échecs personnels mais d’abord et avant tout une faillite collective. Pire, la faillite d’un idéal — l’idéal social-démocrate (scandinave), sa dégénérescence en des sociétés comme les autres … marchandes et capitalistes, gangrénées par l’égoïsme et la mesquinerie, l’intérêt personnel et la jalousie et l’envie de son prochain. Le polar scandinave nous explique qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark ! On s’en doutait. On le sait. On nous l’écrit. On peut le lire. Et le re-lire. On ne meurt pas qu’aux USA (chez ces gens si différents de nous) mais aussi en Norvège, en Suède, au Danemark, en Finlande, en Islande (chez des gens comme nous mais qu’on croyait mieux que nous). Nous voilà rassurés sur notre sort. Et pas de raison d’être jaloux.

On me rétorquera que c’est justement ce pourquoi le roman policier — sous sa forme noire surtout — a toujours fait dans la critique sociale. Probable. Vrai, même. Mais, vous ne m’avez pas compris. Ce que j’ai fini par trouver à la fois très caractéristique et très pénible dans les polars scandinaves c’est leur côté didactique, explicatif — souvent, toujours, à gros, gros traits. Ce sont des essais de sociologie appliquée qui nous donnent des leçons de morale sociale. Et cela me gêne pour deux raisons. D’abord, parce qu’ils ne racontent (presque) plus d’histoire; Au mieux, l’histoire est devenue un prétexte; et je ne peux pas m’empêcher de trouver dommage qu’un roman ne raconte pas d’histoire. Ensuite parce que si je veux lire un essai de sociologie sur la faillite de la social-démocratie, je prends un essai de sociologie sur la faillite de la social-démocratie. Un écrivain qui se prend pour un sociologue, c’est chiant; et puis, il nous donne l’impression d’une prétention à la généralité qui est problématique. Ce ne devrait être « que » de la fiction. Et ça serait déjà bien. Et ça pourrait même être de la fiction qui dérange, qui interroge, qui fait douter, qui dénonce, sans avoir besoin de nous mettre en permanence les points sur les i, les barres sur les t, et sans avoir besoin de nous dire en permanence que nous sommes dans une histoire qui dénonce. Prenez Jim Thompson(tous), David Goodis, Christopher Cook (Robbers), Boston Terran (God is a bullet) ou Chris Offut (ce sont des romans noirs, pas très, pas du tout polars), Stewart O’Nan (The Speed Queen) parmi d’autres et vous aurez de la critique sociale qui ne fait pas la morale, qui ne vous prend pas la main pour vous dire où regarder ou que penser, qui n’est pas inutilement pédagogique. Bref …j’en étais au polar scandinave. J’adore ça. J’en ai lu encore et encore. Maintenant que c’est devenu une franchise, c’est un peu ridicule. C’est difficile de faire le tri entre le bon grain et le vraiment mauvais.

Et je me garderai bien de donner des conseils.