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mardi, 28 juin 2016

Ma vie avec les Kardashian

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Tout a commencé il y a près d’un an et demi. À cette époque, j’étais un jeune homme plein de vie et pétri de bons sentiments. J’offrais toujours un œil rieur à mes amis et mon bras solide pour les vieilles dames. Un soir, harassé mais heureux de ma journée de travail pour lequel je donnais toujours le meilleur de moi-même, je m’affalais dans mon canapé et m’offrais une soirée télé telle que le citoyen français- celui qui n’a rien a se reprocher - la mérite. Mon colocataire ayant eu la bonne idée d’avoir un bouquet de 1300 chaînes, je zappais allègrement de chaîne en chaîne, à la recherche d’un programme pouvant m’offrir un regard nouveau sur le monde. Soudain : « Oh putain, la vache, on a E! Entertainment ! ». Et puis : « Oh, sa mère, c’est la famille Kardashian ! ». Une nouvelle ère commençait.

Avant toute chose, il faut savoir que je n’en étais pas – loin de là – à ma première émission de télé-réalité. Ayant eu la chance de naître au milieu des années 80, je me suis pris de pleine face, au détour des années 2000, la ritournelle des Loft Story, Nice People, Opération Séduction, Bienvenue à Jersey Shore, Next, Star Academy, Koh-Lanta, Bachelor, Les Colocataires, La Ferme Célébrité, Carré VIP, Popstar, Simple Life et la miraculeuse Île de la Tentation. Des émissions pour lesquelles j’ai entretenu un amour sincère, sans toutefois que celles-ci n’influent véritablement sur mon caractère dont le monde s’accordait à dire qu’il était avenant. De bons moments entre amis et un répertoire infini de blagues, voilà ce que signifiait pour moi la télé-réalité. Au moment d’entamer mon premier épisode de L’Incroyable Famille Kardashian, mon état d’esprit se constituait donc d’un mélange de l’arrogance du vieux roublard et de l’excitation du lecteur régulier de Public. Que Dieu me pardonne, je ne savais pas ce que je faisais.

L’Incroyable Famille Kardashian (ou Keeping Up with the Kardashians en VO) suit les mongoleries facéties d’une famille recomposée issue de la nouvelle bourgeoisie angeline et dont la pierre angulaire se trouve être Kris Jenner (du nom de son deuxième mari, Bruce Jenner), le patient zéro la matriarche du clan. À l’épisode 1 de la saison 1, cette incroyable Famille Kardashian rassemblait donc Kris Jenner (la tarée la maman), Bruce Jenner (l’homme objet le second mari), Kourtney Kardashian (la looseuse l’ainée), Kim Kardashian (la meuf qui, sur les conseils de sa mère, a fait une sextape pour se faire connaître la princesse), Khloé Kardashian (la vilaine l’iconoclaste), Robert Karadashian Jr. (le gars qui veut changer de famille le petit frère), Kendall Kylie Jenner (les insupportables mignonnes petites sœurs) ainsi que Scott Disick (l’ivrogne le petit ami de Kourtney). Plane au-dessus de ce petit monde la figure du père des enfants Kardashian, Robert Kardashian, avocat d’O.J. Simpson, entre autres, et mort quatre ans plus tôt. Le bon paquet de fric vide laissé par sa disparition sera un des fils rouges de l’émission. S’ajouteront au cours des douze saisons d’autres improbables types originaux, tels que Lamar Odom (le pervers le champion NBA et petit ami de Khloé), Kanye West (l’autiste l’artiste génial et mari de Kim), Tyga (le demeuré vénal le rappeur aux millions de vues et petit ami de Kylie) ou dernièrement Blac Chyna (la demeurée vénale la mère de l’enfant de Tyga et petite amie de Robert Jr.). Enfin, Kourtney et Kim eurent l’irresponsabilité la joie de mettre au monde deux enfants chacune, respectivement Mason et Reign et North et Saint.

Voilà les termes du contrat sur lequel je laissais mon sang et une masse non-négligeable de cellules grises au début de l’année 2015, ce soir où j’entamais la saison 10 de L’Incroyable Famille Kardashian. Car cette émission n’est pas de celles qui coulent sans séquelles sur le trench-coat de nos vies. Arrogant et excité, étais-je donc à l’abordage des Kardashians. Aveugle et sourd aurait été plus prudent. Après la vision de deux saisons et trois épisodes (10, 11 et début de la 12 en cours), me voilà membre d’une irréelle communauté qui s’est émue du changement de sexe de Bruce – désormais Caitlyn – Jenner, des frasques adolescentes de Scott Disick, de la taille pharaonique du bec de Kylie ou encore de l’irréparable bévue de Kris Jenner, achetant les même mugs que Kourtney pour la nouvelle maison de Robert Jr. Que s’est-il passé ? En quoi les inquiétudes de Kim pour son vagin déformé par l’accouchement me concernent-elles ? Je crois que cette émission est un vortex, un passage entre notre dimension où se débattent pêle-mêle Nelson Mandela, le chat de mes parents et Didier Barbelivien et une autre où se sont mariés Kim Kardashian et Kanye West et où Lamar Odom est pris d’un malaise cardiaque au cours d’une orgie avec prostituées, dans un motel appelé le Love Ranch. Je suis comme Gulliver, je découvre fasciné les us et coutumes d’un monde inconnu.

À l’instar des fesses de Khloé qui ne répondent plus à aucune loi physique, L’Incroyable Famille Kardashian ne répond à aucune des règles de base de la rationalité. Ou plutôt si, mais aux siennes propres, inconciliables avec la vie sur terre. Mode de vie, préoccupations, sentiments, rapports au corps, relations humaines : tout ce que nous connaissons et qui nous permettent de vivre au jour le jour est ici balayé, sans merci pour nos pauvres certitudes. Sur la colline de Calabasas (lieu de vie de tout ce beau monde), ce sont les souris qui accouchent des montagnes. Et gare à la rééducation périnéo-sphinctérienne.

Peut-être, pourrait-on se dire, devrions-nous raison garder. Après tout, pourquoi ne pas prendre les Kardashians dans la lignée de ce qui fait la télé-réalité depuis 20 ans : des débilos qui font n’importe quoi en suivant un script plus ou moins écrit à l’avance. On en a vu pléthores des familles plus ou moins célèbres suivies en permanence par une caméra (Snoop Dogg, les Osbourne ou Christina Milian dernièrement). Mais aucune d’entres elles n’aura duré aussi longtemps. Une longévité qui a conduit ses protagonistes à vouer leur vie à cet espace flou, le no man’s land qui sépare la fiction de la réalité. D’une histoire commencée avec la sextape de Kim Kardashian – une idée, dit-on, venue de sa mère - L’Incroyable Famille Kardashian est devenu, au fil du temps, une sorte d’autofiction télévisuelle. Producteurs et instigateurs de l’émission, la famille Kardashian en est également le personnage principal et met, saison après saison, plusieurs vies en jeu dans des aventures qu’elle se crée elle-même. Il est là, le monde inconnu, celui qui m’hypnotise le mardi soir et rend cette émission aussi abrasive qu’indispensable.

Me voilà donc aujourd’hui, en ce mois de mai 2016, à me demander comment va se terminer cette bisbille entre Rob et Khloé, savoir si Kourtney va se trouver un nouveau mec ou si Kylie ne va pas bientôt voir son visage en plastique fondre avec le réchauffement climatique. J’ai changé. Je ne suis plus ce sympathique ami, ni ce solidaire concitoyen. Maintenant, je veux juste une piscine géante, une Ferrari sans permis et prendre Kanye West dans mes bras pour lui dire qu’il est mon meilleur ami.

Maxime

Maxime est né en 1986 et possède un puzzle de la famille Kardashian-west (HASHTAG LA CHANCE). Il est venu nous parler un jour au Baleapop en disant qu'il aimait bien Retard, et du coup comme on adore les gens qui nourrissent nos egos on est devenus copains. Un vrai coup de foudre amical, qui a fait qu'on a même aimé ses potes (n'est-ce pas Elsa hinhinhin). En vrai, Maxime, il défonce tellement que si il n'était pas de Lyon et qu'il n'avait pas cette pilosité abondante, ça ferait longtemps qu'il serait une retardette, et peut-être la meilleure d'entre nous.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com