Perchés à seize mètres de hauteur, nous, comme tout un pan de la jeunesse contemporaine, nous adonnions à du clubbing dominical, celui qui veut nous faire penser que nous ne retournerons jamais travailler, que nous ne redescendrons jamais en dessous d’un gramme et demi d’alcool par litre de sang, que la musique ne s’arrêtera jamais et que nous demeurerons beaux ; celui qui nous happe lentement, du coucher du soleil à la gueule de bois que l’on regrettera aux premiers hurlements du réveil.
Toi, tes longs cheveux noirs, tes grands yeux et ta peau #dba37e étiez tous là. Je vous avais repérés dès votre arrivée. Je savais que tu étais là. Tu savais que j’étais là. Je savais que tu savais, tout comme tu savais que je savais. On s’était “vus” par intermittence pendant 6 mois.
Tu es de ces filles que l’on ne saisit pas : éblouissante mais difficile à percer.
La fête termine et tu exhortes tes amis à la continuer chez toi. Parce que, à un moment donné, il faut arrêter les conneries et réussir à se lever pour feindre une fraîcheur de début de semaine d’ici quelques heures, je décline l’invitation.
Les heures passent et ton appartement se vide. Tu te décides à me rejoindre. Tu connais l’adresse. Mon quartier d’apparence si propre n’est qu’à quelques minutes de marche de ta demeure. J’avais déjà réussi à t’y trainer, à quelques reprises seulement. Mes yeux se débattent pour ne pas céder au noir. Le temps est long mais je décide de te laisser arriver à ton rythme.
J’entends vibrer. Mes yeux se rouvrent.
“Je marche encore. Je me suis faite arrêter par un mec. Monde de merde”
Je me considère moi-même comme un féministe et un fidèle défenseur de l’égalité des sexes. Pas que je sois un activiste forcené, mais un fidèle lecteur de madmoiZelle ou autre Cheek qui assiste, dès qu’il en a l’occasion, à des événements sur la question et qui aime à ramener sur le tapis ce sujet que l’on range souvent dessous (le tapis). Bref, un petit féministe mais qui en fait déjà beaucoup plus que 90% des hommes qui m’entourent et qui, bien que traîner seulement quinze secondes sur Paye Ta Schnek a le don de le faire sortir de ses gongs, a répondu.
- “T’as vu comment t’es habillée aussi”. Une blague provocatrice portée par la fatigue, quelques verres de trop et l’impatience de te voir passer le pas de ma porte, en somme. “Rien de méchant”. Un calembour qui n’a évidement pas eu l’effet escompté. Tu as fini par arriver.
- “T’es con, putain.”
Ma première réaction, en te regardant te glisser sous la couette et me tourner le dos, a été de penser que tu surréagissais, que tout était dû à l’alcool et au fait que je t’ai demandé de parcourir un kilomètre à pieds. Tu campais sur tes positions ; mon féminisme a fini par en prendre un coup. Je ne saisissais pas. Comment as-tu pu passer d’un sentiment festif à une telle colère ? Ta carapace d’ordinaire épaisse paraissait désormais faite d’adamantium. Il m’a fallu de longues minutes avant d’en apercevoir la fêlure.
- “Il s’est passé un truc ?”
Oui. Enfin, non. Le fait est qu’il se passe toujours un “truc”. Ce n’est jamais anodin et la répétition de ces événements use, harasse autant qu’elle dégoûte. Ta meilleure amie est rentrée chez elle avec un œil au beurre noire la semaine dernière. Tout ça est éreintant et je “ne peux pas le comprendre”. Ce n’est pas un sujet que l’on peut porter en dérision.
Tu avais raison. Je n’en aurai jamais la même perception que toi, que vous toutes, moi que personne n’importune dans la rue. NOUS sommes bien loin de nous rendre compte de la situation, nous qui pouvons nous vêtir comme bon nous semble, arpenter n’importe quel quartier à n’importe quelle heure du jour et de la nuit.
Tu as eu peur. Je l’ai compris en te prenant dans mes bras, en sentant les vibrations de tes sanglots. Je me suis demandé combien de fois par mois, par semaine, par jour, tu devais être confrontée à cette peur.
Même si je sais que cette peur existe chez la majorité d’entre vous, moi, le féministe auto-proclamé, ait eu besoin qu’on la dépose, à nouveau, sous mes yeux pour me souvenir à quel point elle est ancrée dans votre quotidien.
Je suis désolé de ne pas avoir vue qu’elle s’était déposée sur toi au moment où tu t’es engouffrée dans mon appartement. Je suis navré d’avoir pensé que la situation pouvait se prêter à une touche d’humour. J’ai été le véhicule d’un comportement que je condamne au quotidien, symptomatique d’une frange largement majoritaire de la gente masculine.
Je tiens à m’excuser, auprès de toi et de vous toutes.