RETARD → Magazine

lundi, 13 mai 2013

RENCONTRE AVEC SOASIG CHAMAILLARD

Par
illustration

En CE2, moi et ma coupe de Playmobil, on a intégré sous les ordres de ma maman une école catholique. C’est dans ces murs tristounes, entourée de gosses pas super sympas habillés en Cyrillus, que je me suis aperçue que mes parents me voulaient du mal. Ils n’étaient pas mariés, et n’avaient même pas pris la peine de me baptiser : ALLEZ L’ALLER DIRECT POUR L’ENFER, MERCI LE COUPLE DE TARÉS, VOUS VOUS RENDEZ PAS COMPTE QUE JE VAIS PASSER L’ETERNITÉ A CRAMER AUX COTES DE MUSSOLINI ?Du haut de mes 9 ans, j’ai donc dû prendre une décision. J’ai choisi, pour sauver mon âme, de me convertir à la foi chrétienne. J’ai fait valider au cours des années les différentes étapes : Baptême, 1ère et 2ème confession de foi, confirmation. Tous les mercredis, j’allais même à des cours de cathé pour faire connaissance avec le Christ. J’avais intégré la « TEAM CATHO ». La religion était devenue mon dada : ya qu’à voir, je priais (mais seulement quand ça n’allait pas), et j’allais à la messe (mais seulement quand j’arrivais à me lever le dimanche matin). C’était okay : qu’est ce qu’on en avait à foutre si ma vie était nulle, si je mourrais c’était pas grave, j’allais direct glander pépax aux côtés de Dieu, C’EST PAS TROP LA CLASSE ?

Pourtant, à 13 ans, quand on m’a annoncé la mort d’un garçon d’à peu près mon âge, qu’il n’y avait aucune « bonne » raison à ça, et qu’on me disait qu’il ne fallait pas être triste, parce qu’il avait rejoint la droite du Seigneur, j’ai fini par me demander si on se foutait pas un peu de ma poire. Une grosse remise en question s’en est suivie : elle ressemblait à un « DIEU N’EXISTE PAS DONC QUAND JE VAIS MOURIR TOUT SERA TERMINÉ ET J’AURAIS MEME PAS VU LA FIN DE BUFFY ».

C’est à ce moment que j’ai rangé ma médaille de la Vierge, pris des cours de tennis le mercredi à la place du cathé, et que je me suis revendiquée comme agnostique, un peu déprimée, certes, mais fière et énervée.DIEU=CONNERIES.C’était néanmoins plus facile à dire qu’à faire. A 26 ans, il m’arrive encore de me rendre dans des églises : enterrement, mariage, et même petite visite touristique (ouais, j’aime bien). Et, à chaque fois, j’ai une impression bizarre, comme si je retournais chez un ex. Un ex qui s’appellerait Jésus. Du haut de son crucifix, je sens son regard sur ma nuque qui expliciterait un « Alors, qu’est ce qu’on fout là, toute pimpante, t’avais pas dit que nous deux c’était terminé? » qui me met profondément mal à l’aise. Du coup, je ne sais pas si c’est parce que je « crois » encore, ou si le lavage de cerveau subi pendant des années a tellement bien marché que je me retrouve incapable de blasphémer ou de prendre ça à la légère. Nan, je trouve pas « Piss Christ » ultra revendicateur, non, les pièces de théâtre où on chie sur les religions, quelles qu’elles soient, c’est juste pour moi de la provoc facile et pas très maline. Super, et merci à toi, culpabilité judéo-chrétienne, de m’infliger ces réflexions d’un ennui mortel, dignes d’un vieil abonné à « La Croix ».

Mon petit coeur qui pourrait manger du poisson le vendredi et qui porte parfois un serre-tête aurait pu donc être choqué par le travail de Soasig Chamaillard. N’empêche que ses oeuvres me fascinent. C’est mon super ami François qui m’avait parlé de cette Nantaise qui détourne avec brio depuis quelques années de vieilles statues de la Vierge pour en faire des icônes pop. Avec respect, elle donne vie à des Maries complètement dans l’air du temps. Le résultat est beau, drôle, provocant sans être insultant, et arrive quand même à réveiller l’ancienne catho qui sommeille en moi d’un gros « Rolala, la Vierge Marie, quand même ». Du coup, comme j’aime beaucoup le travail de Soasig, et que je me demandais comment elle a pu assumer de détourner ce symbole sacré, j’ai voulu lui poser quelques questions. Elle a eu la gentillesse d’y répondre un samedi matin, très tôt, sur Skype, il y a quelques mois. Je sais, je suis grave à la bourre (rappelle toi le nom de ce blog, quand même). N’empêche que vous allez voir qu’on a tous eu raison de patienter. Les « Apparitions », et Soasig, valent carrément le détour. Rencontre avec une artiste qui jongle avec le féminisme, la spiritualité, la culture pop et, parfois, quelques cathos fondamentalistes un peu relous.

Comment as tu débuté cette série de sculptures de Vierges Marie, “Apparitions” ?

Je travaillais à l’origine sur des installations, des morceaux de murs qu’on arrachait et qu’on remettait ailleurs, ça n’avait donc rien à voir. En me baladant dans une brocante avec mon père, je vois une très jolie Sainte Vierge. Il me dit de la prendre, elle n’était pas chère. Je lui rétorque que je ne vais pas mettre ça chez moi et je décide de ne pas la prendre. Quelques temps après, je revois mon père, et je constate qu’il m’en avait acheté une, trouvée cassée à Emmaus. Il savait que je pouvais la réparer. Je l’ai entreposé dans mon atelier et j’ai continué de faire mes trucs. Elle a du rester là-bas un an, et j’ai fini par me dire que c’était bête de ne pas essayer au moins de la réparer. C’était quand même un objet qui me plaisait, que je trouvais très beau. J’ai commencé à refaire le socle, les pierres, et au moment où je suis arrivée aux pieds, cela devient évident qu’il ne ressemble pas au pied d’origine. J’ai ma pâte de sculptrice, je n’y peux rien. J’ai déjà entamé un processus de transformation, à quoi ça sert de la rénover comme si elle était d’origine ? C’est comme cela qu’elle est devenue “Sainte Geisha”. Je me suis demandée ce que j’aimais bien, et tout de suite m’est venu à l’esprit cette icône japonaise hyper connue. Rien à voir évidemment avec la Vierge, mais c’étaient deux figures féminines fortes de cultures différentes. Il se passait quelque chose quand on les associait. Quand je l’ai terminé, je me suis dit que je pouvais en faire plein. Je ne me définissais pas que par mon amour pour le Japon, je suis une jeune femme de mon époque et j’aime plein de choses. Ce travail, pensais-je, prendrait sa force dans la multiplication des propositions, et rendrait la réflexion plus intéressante.

Quelle est ta formation d’origine ?

J’ai fait les Beaux-arts de Nantes. A l’époque, on devait choisir une option, et ça m’a un peu perturbé. On avait le choix entre art et communication. Les professeurs disaient que si nous choisissions « art », c’est que nous étions égocentriques, et si nous choisissions « communication », c’est qu’on était tourné vers les autres. Je me suis dit que je n’avais pas envie d’être cette fille qui se regardait le nombril : j’ai pris communication. En fait, je me suis complètement plantée, et j’ai arrêté en quatrième année. Du coup, je n’étais pas vraiment spécialisée en sculpture, mais je faisais pas mal de volumes comparés aux autres.

Comment définirais-tu ton travail ?

Je suis à la frontière de plein de cases. Mes statues ont été exposées dans des magasins de décoration. Elles sont dorénavant dans des galeries, et je me suis même retrouvée dans des magazines de design. Je trouve que c’est typique de notre époque. Tout se mélange, les frontières sont floues.

Quand tu as commencé la série des Vierges, tu avais un projet, une réflexion, ou juste l’envie de t’amuser ?

Mon responsable aux Beaux-Arts m’appelait “L’innocente aux mains pleines”. Je crois que je travaille intuitivement, et que je ne me rends pas compte de ce que je suis en train de faire au moment où je le fais. Comme de l’écriture automatique. Par contre, avec les années, je constate que mon travail parle de la femme, de sa condition, de sa position, de sa place dans la société judéo-chrétienne.

Il y a aussi toute une dimension religieuse dans ton travail. Proclamant une certaine liberté, j’ai quand même suivi des cours de cathé, et j’ai encore personnellement du mal à détourner ses codes : est-ce difficile pour toi ? Marie a t-elle encore une dimension sacrée ?

Elle a de toute façon une dimension sacrée, qui n’est pas forcément celle que je lui donne. Ca me sert dans mon travail : sans, cela ne créerait pas les mêmes chocs, les mêmes réflexions. Maintenant, si j’ai eu du mal à travailler sur cette statue, cela vient aussi de mon éducation, de l’image que j’en avais. Ce premier pas a été difficile, il a fallu que je me l’autorise. Je n’aurais jamais explicité un “Et, tiens, si j’allais détourner des Saintes Vierges ?” C’est tellement incongru… Est ce que tu vois la Vierge Marie comme une figure féministe ?

Marie n’est pas du tout féministe, elle donne en plus une modèle de perfection et de vertu, qui n’est pas facile à assumer pour la femme. Elle me sert d’autant plus à passer un message en l’associant avec des icônes de notre époque qui disent des choses complètement différentes. Du coup, je n’ai pas besoin de pointer du doigt quoi que ce soit, ça se fait tout seul, par association.Le féminisme est de toute façon comme la religion, multiple. Je ne pense pas faire partie d’un courant particulier. Je crois à la femme, mais je n’ai pas choisi d’Eglise. J’espère juste que mon travail pourra susciter une réaction. Il sera de tout façon compris différemment selon le public. Certains y voient une démarche féministe, d’autres une recherche de spiritualité…

Tu as été surprise par les réactions face à tes oeuvres ? Certains catholiques étaient pas mal remontés (ndlr : Ami lecteur, tape sur Google « Soasig Chamaillard et Catholique » et tu vas comprendre)

Naïvement, je n’avais pas trop saisi où j’avais mis les pieds. Ma démarche est tellement arrivée petit à petit, qu’à aucun moment je me suis dit que j’allais “choquer du catho”. Ils ont mis en plus beaucoup de temps à réagir. J’ai débuté en 2006, et les « Apparitions » ont suscitées des réactions très fortes en 2011. C’est assez long, donc j’imaginais qu’ils arrivaient à faire la part des choses, entre l’art et la religion, qu’ils n’étaient pas choqués par mon travail. Mais la chose qui m’a vraiment surprise, c’est qu’on ne pouvait pas discuter. Au début, j’ai essayé de comprendre ce qui les gênait, de leur faire part de mon point de vue. Je me suis aperçue que c’était de l’énergie perdue. La discussion n’était pas ouverte. Ils avaient juste envie de me dire à quel point mon travail était blasphématoire, point barre. J’ai donc arrêté de répondre. On ne peut pas plaire à tout le monde. Je reçois quand même beaucoup de messages de catholiques qui ne trouvent pourtant pas du tout mon travail insultant, et qui ne comprennent pas cette levée des boucliers.

Quels étaient leurs arguments ?

Ils m’avaient dit qu’ils trouvaient que la femme était déjà l’égale de l’homme. Je leur ai dit que je ne le pensais pas. Ils m’ont rétorqué : “Derrière chaque grand homme, il y a toujours une femme, dans l’ombre, qui a tout soufflé”. Pourquoi alors était-elle dans l’ombre ? Pourquoi elles étaient « le cerveau » et les hommes « l’image » ? On me répondait que les femmes n’avaient pas besoin d’être dans la lumière, que leur vertu première, c’était la modestie. Mais c’est la société qui a voulu ça, pas les femmes ! On leur apprend à être à cette place, à ne penser qu’aux autres, à l’empathie constante…

Ces remarques t’ont-elles donné envie d’arrêter ?

Je me le suis dit deux minutes. Mais je suis assez têtue, et quand j’ai envie de faire quelque chose, je le fais. Je regrette néanmoins comment ça s’est passé, certains propos qui ont été dits. Mais bon, on vient de milieux différents, on a eu une éducation différente, l’incompréhension était évidente… Tu te verrais travailler Jesus, genre sur le crucifix ?Ca ne m’est pas venu à l’idée, je n’ai pas envie de travailler sur les hommes, tout simplement. Peut-être qu’un jour je me pencherais dessus néanmoins, je n’en sais rien. Il y a quelques hommes dans mes statues, une Pieta, deux trois avec des têtes de peluche… c’est comme ça que je les apprivoise pour le moment.

Comment définirais-tu ton travail ? Une Ode à la femme ?

Je ne sais pas si c’est à ce point là, mais une réflexion sur la place de la femme aujourd’hui. Une réflexion aussi sur la foi, ce n’est pas anodin de travailler sur la Vierge Marie. Peut-être aussi une réflexion sur la foi en la femme, qui sait ? J’y voyais aussi une reflexion sur la société de consommation…Evidemment. Déjà, je ne travaille qu’avec des objets de récupération, ça dit quelque chose. Tout sujet sur lequel je travaille, les plâtres, sont issus de séries que je trouve à la brocante, qui n’ont plus aucune valeur, et qui sont destinés à la poubelle. Qui achète des Vierge à la main cassée ? Je les transforme en objet unique, et, même si elles perdent leur portée mystique, elles prennent un autre chemin.

Quelles sont tes influences ?

Quand j’étais au lycée, j’étais complètement fascinée par Nikki de Saint Phalle. Avec le recul, je vois à quel point il y avait un message féministe dans son oeuvre. Puis elle travaillait avec Tinguely, qui lui privilégiait les objets de récupération. Ca me parlait tout autant.

Combien as-tu fait de vierges ?

On approche la cinquantaine. Il en reste peu à vendre, mais j’ai fait aussi des séries limitées de huit Maries, qui comptent « Sainte Barbie », « Super Marie » et les « Forces Fluos ». Celles-ci, il en reste un peu. Les chiffres peuvent sembler « spectaculaire », mais ils ne le sont pas vraiment : 50 statues ont vues le jours depuis 2006, ce n’est pas énorme par année, sachant que c’est ma seule activité. Je travaille assez lentement. Quand je me dépêche, ça ne va pas. J’ai besoin de prendre du recul.
Par contre, je vois toujours le fait que mes statues soient vendues comme une reconnaissance, même si ça fait bizarre de devoir s’en séparer.

Il y en a une que j’aime beaucoup, avec deux vierges Marie aux couleurs du drapeau gay…J’ai offert l’image à une association qui lutte pour les droits des homos, les Dures à Queer. Ils ont droit d’en faire ce qu’ils veulent. Je me doute bien que ça ne va pas être facile à utiliser pour eux, comme symbole…Mais bon, ils vont faire très attention. Qu’est ce qu’on peut te souhaiter ?Une exposition à l’international ! J’aimerais beaucoup que mes Vierges partent dans d’autres pays. Elles circulent sur le net, mais ça serait bien qu’elles s’installent dans des galeries. L’occasion ne s’est pas encore présentée, il faut, je pense, que je fasse mon chemin…Je dois montrer que mon travail n’est pas anecdotique, que ce n’est pas que de l’intuition, mais qu’il y a une vraie démarche.

Quelle est la prochaine ?

La sirène est déjà visible sur le blog, et pour la prochaine, j’ai déjà l’idée, mais je préfère ne rien dévoiler !

RETROUVE LE TRAVAIL DE SOASIG CHAMAILLARD SUR SON SITE CLIQUE LÀ

ET SUIS SON TRAVAIL SUR SON BLOG TU CLIQUES AUSSI MEC

Toutes les photos sont évidemment copyright Soasig Chamaillard (mais ça tu sais ami lecteur, t’es pas bête).

Marine

Leader Autoritaire
Marine est née en 1986 et vit avec un petit chien trop mignon. Après avoir joué avec des groupes de filles ultra classes d'après les autres membres (Pussy Patrol/Secretariat/Mercredi Equitation), elle gagne sa vie en écrivant sur des sujets cools et se la pète déjà un peu. Ca ne l'empêche pas de traîner en pijama dégueulasse le dimanche en essayant de twerker mal sur du William Sheller. L'AMOUR PROPRE C'EST DÉMODÉ OKAY.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com