Cela fait quelques temps que j’ai un retour d’énergie ahurissant. Je me lève à 7 heures 30 pétantes tous les matins. Je fais mes courses et promène mon chien en même temps. Je pars en vélo au boulot en chantant comme pourrait le faire un lillois tout bourré à la braderie. Je bosse comme une forcenée, et rentre, tard, finir d’autres projets. Je termine par boire un coup avec mes copines, et je tourne dans mon lit jusqu’à m’endormir d’épuisement.

De l’énergie à revendre. Trop, presque. Je ressemble au putain de lapin Energizer. Les poils sur la face en moins (mais j’en ai toujours sur les jambes TSAIS)

Pas de quoi paniquer. Je sais pourquoi je fonctionne comme ça. J’ai écarté ma Kryptonite.

Dans ta vie, professionnellement surtout (et même exclusivement), t’es une meuf Superman. Tu ne t’en vantes pas, mais tu le vois dans les yeux de maman quand tu rentres pendant les vacances. Fifille, elle assure grave. Elle a un boulot plutôt cool, elle a monté avec ses copines un site et un groupe, elle écrit de manière pas dégueulasse, elle a plein de projets et une vie bien remplie.

“Oh et puis t’as pas perdu un peu de poids récemment ? Ça te va bien.”

Maman est fière de toi. Et toi, du coup, t’es un peu contente, parce que, hé, on est entre nous, regarde moi bien dans les yeux, TU LE SAIS QUE TU GÈRES.

Pourtant depuis quelques mois tu es un peu étrange. Á côté de tes chaussures. Tu aurais presque envie d’écrire des romans qui font chialer pour que les gens puissent s’apercevoir que “tu peux être sérieuse aussi”. T’es prête à tout envoyer péter parce que tu te poses beaucoup de questions qui n’ont pas de réponses. Tu ne te ressembles plus. Tout ce que tu aimais, les concerts, les bouquins, les copines, la vie en fait, tout te fait chier. T’es disponible pour personne, en vrai.

Sauf pour le mec Kryptonite.

Le mec Kryptonite, c’est pas ton mec. Ça l’a peut-être été, vaguement, un moment, un court instant. Vous vous êtes roulés des galoches sur un morceau de Nico. Il a passé sa main dans ton dos à un concert pété de folk/chanson française/jazz manouche où tu es allée, accompagnée de tes plus beaux sous-vêtements et de tes yeux de merlan frit. T’aimes pas ça, la chanson française. Mais t’as assisté à tout le concert en faisant semblant d’aimer. Juste pour lui.

Le mec Kryptonite, il sert pas à grand chose. C’est pas ton pote. Tu ne lui parleras pas des problèmes de santé de tes parents, tu n’évoqueras pas les disputes avec les filles de ton groupe, ni les angoisses qui peuvent te bouffer quotidiennement. Devant le mec Kryptonite, t’essaies toujours d’être drôle et sympa, de le divertir comme pouvait faire le bouffon avec le roi, d’avoir le mot fin et les einss qui se touchent. D’ailleurs, tu ne bois avec lui que du vin blanc. T’as pas envie de roter, ni d’avoir des restes de pinard dans les peaux mortes de tes lèvres. Ta petite voix le sait et se moque de toi mais tu la noies dans deux gorgées de Sauvignon premier prix.

Tes copines ne comprennent pas pourquoi tu le vois encore, le mec Kryptonite. Elles sont moins connes que toi. Elles savent, elles, que t’as des sentiments pour lui. Que toute seule, dans ton lit, tu te demandes si ça ne le gênerait pas de vivre en roulotte pendant que, dans un futur proche, tu partirais faire des reportages sur le féminisme au Tibet.

Mais non.

A chaque fois qu’elles abordent le sujet, tu rétorques un bon gros

“MAIS OUI ON EST COPAINS ROOOH”, alors que tu croises les doigts dans ton inconscient pour que chaque soirée passée en sa compagnie dérape.

Le mec Kryptonite, c’est pas VRAIMENT un connard. C’est même -de loin-, un mec plutôt bien. C’est même pour ça que t’es tombée amoureuse de lui. Il a du charme, beaucoup. Il le sait. Il s’intéresse à toi, mais jamais comme tu voudrais. Il est à 5 d’intensité et toi t’es à 27. Comme toujours. Des fois tu te demandes si il ne te garde pas sous le coude. Au cas où. Il y a un peu de ça et cela t’énerve, mais dès que tu le vois, tu oublies tout. Tu deviens un chaton dégueulasse qui se frotte aux canapés.

Et comme prévu, ça ne dérape jamais.

Un beau jour, le mec Kryptonite, il fait un truc que tu n’avais pas cru possible. Il se trouve une meuf. Il pense d’abord à lui et se fait passer en premier sur un truc qui te tenait vraiment à cœur. Et finalement, comme une révélation, tu constates que tu n’as jamais pensé à lui comme un copain. Que c’est toi qui le gardes sous le coude, tandis que tu cherches l’équation magique POUR QU’IL S’APERÇOIVE À QUEL POINT T’ES GÉNIALE (Avec toute l’énergie que tu mets dedans, ça devrait finir par se voir, quand même)

Elle n’existe pas, cette formule : on aime ou on n’aime pas, c’est tout. Mais il est au courant que t’es cool, tu sais. C’est même pour cela qu’il voulait rester ton copain.

Après quelques mois, pourtant, tu atteins un point où tu es fatiguée, lassée, et même un peu déprimée. C’est crevant de ne montrer que le meilleur de soi-même face à quelqu’un qui ne remarque même pas l’étendue de tes efforts. Tu finis par laisser tomber les armes et prends alors le premier prétexte qui passe. Une phrase un peu maladroite qu’il prononce devant ses potes. Une situation humiliante (toi et ton gros ego, décidément) qui te rappelle que tu ne gères pas autant que tu le crois. Et, dans un ultime mouvement d’autodéfense, tu lances la Kryptonite loin, en espérant qu’elle ne revienne jamais.

Le mec Kryptonite ne comprend pas, il a rien fait de moche d’après lui, tandis que tu le fais disparaître, de tout, partout. Tu bloques ses appels, ses mails (parfois pendant des années), tu refuses de foutre un pied dans un endroit où tu serais susceptible de le croiser, t’aimerais te volatiser dans un ailleurs où on sert de la Frozen Margarita quand tu l’aperçois dans la rue, tu ne vas pas boire un verre avec tes amis quand il y est.

C’est pas sa faute. C’est pas vraiment la tienne non plus.

Il y a juste cette logique.

Superman et la Kryptonite, ils ne vont pas ensemble à des concerts.

Ils ne boivent pas des verres.

Ils ne dissertent pas sur la vie et la mort pendant des heures.

Ils ne montent pas de projets ensemble.

Superman et la Kryptonite, ils s’évitent.

Et c’est comme ça qu’un jour ils finiront peut-être par être heureux.

Ndlr : La fille Kryptonite existe aussi. C’est elle qui souhaite que vous « restiez amis » mais qui t’appelle à chaque fois qu’elle a besoin de toi et qu’elle se sent seule. Barre toi vite aussi mec, BARRE TOI VITE.