RETARD → Magazine

lundi, 17 juillet 2017

Comme si le poème devait être

Par
illustration

Comme si le poème devait être. N’était pas assez. Une sorte de consigne à ne pas atteindre. À ne pas pouvoir atteindre. Une marche sur laquelle tu ne fais que tomber, où tu te vois, où tu projettes tes dents brisées et tes doigts qui craquent avec fracas sur le béton. Ce couloir de métro gris, lumière fluorescente, néons qui vibrent ou tintent ou crissent ou grincent.

peux-tu même encore écrire
dans ta grande fatigue

Tu te trimballes comme un sac d’os, un lourd sac d’os qu’on traîne, qui racle le pavé, qui tressaute; tu patauges dans la boue laissée par les pas martelés des autres pressés pressants oranges éclairs. Eux les tendus vers leurs milles futurs. Toi tu danses dans ton lit, tu danses figée dans la peur, tu danses du regard vers les lumières fixes, tu t’accroches des guirlandes sur le cœur pour faire croire un monde, tu profites des tissages de dentelles que d’autres ont posés comme des couvercles où laisser passer le jour.

Le poème comme tu apprendrais à te torcher, comme la cuillère sans vaciller de la pitance à la bouche, comme l’eau sur ton corps électrique, comme un sexe menaçant foison, un sexe à espérer à ne pas savoir atteindre, au-dedans même de toi. Poésie comme ta féminité qui s’accorde au mensonge, ton corps de femme comme un langage désappris qui hurle du dedans des mondes, du dedans de la terre. J’y passerai le bras au-dedans de moi, tréfonds où se déposent les rêves, où je communique avec les absents et les tous-fantômes-milles-amours dans les églises, les pas qui résonnent, les rires que je cloue aux murs des maisons à colombages, les yeux qui me récitent Goethe la nuit. J’emmerde le poème que je déclare roème, des morceaux de romans épars, jamais terminés, à ne jamais terminer. Mon roème que j’éructe, une exécution lancée comme une samba, un chiketichiketichiketichiketichiketi de mots, un chchchchchchchhhhhhhhhhhchchchch de vocabulaire rythmé avec de la poussière qui s’envole de mes talons sans ailes. Poésie ville monstrueuse où dégoulinent arbres du voyageur et fleurs en cascades, pavé battu battu battu et pruine dans les couloirs : là où chacun résonne. Le poème là où l’on me brise.

Et toi roulée entre les pierres les genoux dans la bouche et la terre rouge pour toute peau, dans ta bouche de l’eau pour les pierres et des mots pour les roses.