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jeudi, 05 janvier 2017

Envoyée Spéciale, le coeur ballon saucisse

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Vous le savez peut être déjà, mais en plus d’être une magnat des médias avec Retard, Marine dirige de manière semi dictatoriale un club de dégustation d’apéro sucré/salé. L’apéritif est un sujet sérieux en France. N’allez donc pas croire qu’elle reste discrète sur ce sujet pour une bête histoire d’image. La loi évin l’oblige simplement à camoufler son projet de “Villa Loïc Raison” en “Club de lecture de l’amour”.

Il s’avère que sur un malentendu du à la présence des lettres C.O.O.K.I.E. dans mon @ twitter, j’ai réussi à être recruté dans les rangs du dit club. Depuis ce jour je partage mon lot de houmous/tortilla tous les mois avec neuf personnes en débattant lourdeur de style et juste quantité d’ail dans un caviar d’Aubergine*. L’occasion d’étaler du tarama sur le dernier Eric Reinhardt ou d’éponger une flaque de vin rouge avec un Limonov histoire de bien coller les pages entre elles. S’il apparaît qu’en terme de nourriture le choix du club s’appuie sur un simple critère: “Est-ce comestible ?”, le choix de nos lectures emprunte aux grandes heures des scrutins démocratiques. Un membre propose 3 livres qu’il n’a pas lu et dont les noms sont posés sur une table. Puis chacun brandit son jeton de vote officiel (un monster munch en réalité). Marine compte jusqu’à 3 et tout le monde réduit en miette son bulletin sur le livre choisis. Le plus gros tas de miettes de chips a gagné.

En mai dernier mon tour était venu de soumettre à la communauté mes choix littéraires. Il s’avère que 4 mois plus tôt Jean Echenoz sortait son dernier roman. Tout naturellement j’ai donc pensé à débarquer au club de lecture en disant “Salut, ce mois ci je vous propose un vote saveur Nord Coréenne. On va tous lire “Envoyée Spéciale” de Jeannot. En plus ca parle du pays de Kim Jong Un donc une belle mise en abîme et moins de miettes à ramasser en perspective”. Ca ne s’est pas tout à fait passé comme ça mais en présentant avec toute ma mauvaise volonté les deux autres candidats j’ai réussi à placer Echenoz en haut du podium.

Mon histoire d’amour avec Jean a commencé par une paire de pieds qui tournent des robinets dans un bain. Les pieds d’un homme qui aimerait bien maintenir une température amniotique dans son bain plutôt que d’en sortir en risquant de s’éclater l’entrejambe sur le rebord à cause de ses petites jambes. C’est cette considération pour le confort et la bien portance de l’appareil génital de Maurice Ravel qui m’ont fait aimer Echenoz au premier regard. Toute la délicatesse de son écriture est là. Dans les digressions et les détails annexes à l’histoire qu’il distille le long de ses romans. Il ne raconte pas de grandes histoires et ce n’est pas ça l’important sinon comment il les raconte.

“Ravel”, puisque que c’est le titre du livre mentionné au dessus, fait partie d’une tétralogie de biographies romancées qui, pour moi, représente le meilleur son oeuvre. Il s’y intéresse, tour à tour, à Ravel donc, Nikola Tesla dans “Des éclairs”, Emile Zatopek dans “Courir” et enfin, un soldat non identifiée de la première guerre mondiale dans “14”. On suit donc des personnages à qui on attache un destin extraordinaire mais qui, comme tout le monde, aimeraient juste qu’on les laisse tranquille. On rentre dans cette intimité préservée qu’ils s’aménagent. Dans l’à coté de leur don. Et c’est dans ce récit du banal et du futile qu’Echenoz arrive à nous intéresser à des sujets aussi divers que l’électromagnétisme, la course de fond ou la création musicale. Les personnages, chez Echenoz sont surtout présentés par leurs mauvais cotés, histoire d’exploiter leurs failles (même quand ils ont composé le Boléro ou inventé le courant alternatif). Chez lui on devient flamboyant parce que l’on est d’abord humain et il faut tout son talent d’auteur pour rendre magnifique le ridicule de certaines situations.

“Envoyée spéciale”, son dernier roman que j’ai fait lire à mon gang de lecteurs-buveur-de-cidre, ne fait pas exception à la règle. On y suit les aventures rocambolesques d’une ancienne gloire de la pop enlevée par une bande de barbouzes un peu gauches. Ceci dans le but de l’envoyer en Corée du Nord pour espionner les cadres du parti sur place. Pourquoi elle ? Parce que son seul tube, par la magie de cette machine à voyager dans le temps qu’est la patrie des Kim Jong, fait fureur sur place 20 ans après sa sortie. Une histoire aussi simple qu’elle n’est décalée et qu’Echenoz ne va vraiment développer que dans le dernier tiers du livre. Comme Morris avec Lucky Luke, archétype du héros chiant, il préfère développer les personnages secondaires et fouiller dans la vie de ces derniers pour nourrir son livre.

On peut trouver son écriture précieuse et germano-pratine. Pour moi elle est Précieuse car infiniment élégante. Echenoz c’est un style net, très épuré mais qui raconte milles choses par page voir par mot. L’artisanat complexe de la syntaxe qui se cache sous une apparente simplicité. Imaginez un mec qui arrive, à partir d’un ballon saucisse, à reproduire le jardin des délices de Bosch. Soit, réaliser un chef d’oeuvre avec un matériau simple, de précis pliages et des grincements rigolos. Jean Echenoz c’est tout ça. C’est comprendre au fil des pages la richesse de son style. C’est voir apparaître un foisonnement de choses émaner d’une simple ligne de récit. Et c’est aussi lire le sourire aux lèvres car, comme les ballons qui parfois en se pliant font des bruits de pets, ses livres sont très drôles.

Pour toute ces raisons Jean, cœur en ballon saucisse qui pète sur toi.

*Quelque part entre “Beaucoup” et “Plein”

Raphael

Raphaël est né en 1984 et vit entouré de pelleteuses, des grandes comme des petites. Rencontré grâce au club de lecture, cet ingénieur moustachu qui fait des ponts et des tunnels a écrit de très belles histoires pour Retard, avant de devenir le coloc de Marine. Un homme de goût et de bonnes vannes, avec une passion pour la chaussette à paillettes, la charcuterie et les viaducs. C'est comme ça, ça s'explique pas.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com