Débuter ce papier est très étrange, presque difficile. Je t’explique. J’ai promis à la chère leader de Retard un papier sur une petite anglaise brune qui minaudait dans des comédies françaises des seventies et jouait les charmantes poupées muses dénudées pour le plus grand poète de la chanson française. Pour cela, j’avais pensé à une super accroche, vois-tu. Je voulais remercier une petite française blonde au fessier légendaire qui incarnait au cinéma l’insolence absolue : celle d’être une femme libre. Oui, je voulais remercier Bardot d’avoir pris la poudre d’escampette direction Almeria (quand tu prononces cette destination, je t’oblige à écouter cette chanson pour le charme de la prononciation
pour se séparer de dieu Gainsbourg qui, quelque temps plus tard, presque remis de ce grand chagrin d’amour, rencontra Jane Birkin, sa seconde muse.
C’est fou : en un seul geste, un billet pour la côte sud de l’Espagne, BB a changé la vie de trois personnes marquantes de la culture française. Ok, cette tournure est un brin pompeuse et sûrement suis-je la seule à trouver ça dingue. C’est à cet instant précis que la leader autoritaire de Retard, en train de me lire, est en train de se dire :
« Mais c’est quoi ce foutu papier ? Où elle veut en venir ? Elle ne parle pas du tout de Jane Birkin là ?! »
Puisqu’on est totalement libre dans ce fabuleux territoire qui s’appelle Retard, changeons donc de sujet ! Non, je ne veux pas vous parler de Jane aujourd’hui. Là, maintenant, tout de suite, mes élans féministo-cultureux-confus me donnent furieusement envie de te parler de Brigitte. De te faire voir son cas sous un angle neuf. Et c’est se tirer une balle dans le pied, hein, de perdre son temps à blablater sur cette vieille folle qui préfère les animaux aux humains et soutient politiquement on sait qui, toi et moi. Mais j’ai l’amour du risque (en matière d’écriture tout du moins). Je me lance donc – et inutile de te préciser que mon récit se concentre sur la Bardot d’antan. J’ai souvent pensé qu’aimer Brigitte Bardot faisait de moi une piètre féministe, pire une traître. Simone et Virginie m’avait appris à déconstruire l’objet que j’étais et que je ne devrais plus jamais être. Et je peux te dire que c’était un casse-tête de tous les instants de se dévêtir du poids du patriarcat bien incrusté dans ma petite cervelle. J’avais toujours beau chercher à déconstruire mon amour pour Brigitte, à me dire qu’elle n’était que le corps que le cinéma, les cinéastes, les hommes désiraient qu’elle soit, je n’y arrivais décidément pas. C’était peine perdue. Sa moue boudeuse chez Godard, ses jambes sans fin chez Autant-Lara, sa crinière en vrac chez Vadim et surtout cette scène m’empêchaient de ne pas succomber à son féminisme bien à elle (voir à 2.41).
À chaque visionnage de ce film, La Vérité tourné en 1960, mon esprit féministo-cultureux-confus ne voyait que la vérité qui implosait à l’écran. Pour une fois ce n’était pas le corps de Bardot qui s’imposait face caméra comme dans Le Mépris, En cas de Malheur ou Et Dieu créa la femme. C’était ce qu’elle avait à dire, à hurler, ce qui sortait de sa bouche pour défendre son corps et sa façon d’aimer. Ce n’était pas de la fiction. C’était la réalité du cas Bardot. Et plus largement du cas de la femme. Jugée pour son indécence, toujours. Jugée par la société des hommes que certaines femmes suivaient sans sourciller. Dans cette scène, Bardot interprète la jeune femme que la triste France des années 60 n’est pas encore prête à accepter. Pour la faire courte : elle est libre. Elle est jugée pour avoir tué son amant mais plus largement pour sa liberté effrénée et tapageuse. Ce film, réalisé par un misogyne notoire Henri-Georges Clouzot, est un miroir que la vraie Bardot a trimbalé tout le long de sa vie.
Comme son personnage, BB ne fait que ce qu’elle veut, lit, clame, crie, se balade, couche comme elle le désire. Perso, dans sa tirade, son cri du cœur – pour l’anecdote, comme l’héroïne interprétée, BB fera une tentative de suicide à la fin du tournage – je ne vois qu’une nana qui hurle au monde combien il est triste, engoncé dans son carcan et sa morale. Combien il est jaloux d’elle, de sa liberté insolente, de sa manière de jouer avec la vie. Elle crie tout son mépris au tribunal d’une époque qui la désirait autant qu’elle désirait la mettre en cage et la sermonner.
Belle, égoïste et indécente. C’est en ces termes cruellement élogieux que son amoureux dans le film la décrit. Il ajoutait même « tu es une putain ». C’était du cinéma, et puis pas tellement finalement aux yeux de l’époque. Ça me fait penser qu’elle n’a jamais voulu être mère et qu’elle a abandonné son gamin aussi. Qu’elle est partie avec le réalisateur Roger Vadim contre l’avis de ses parents grands bourgeois, pour tomber finalement amoureuse sous les yeux de son mari de Jean-Louis Trintignant, coucher avec Sami Frey, briser le cœur de Gainsbourg pour finir avec un milliardaire allemand. Elle a toujours fait comme elle a voulu. Sur un disque ou dans un film, ses 20 ans de carrière à tout casser ne dessine que cette nécessité de liberté et de mépris des convenances patriarcales. Tu te demandes à quoi ça nous sert que je te raconte ça soixante ans plus tard, surtout quand tu sais comment la Bardot à virée à l’extrême droite toute ?
Je t’ai parlé du cas Bardot parce que c’était trop complexe de te retracer dans le détail tous ces moments pénibles qui ont fait mal à mes oreilles et à ma tête ces dernières semaines. Que tous ces moments forment un gloubi-boulga bouillant et brouillon en moi. D’abord, il y avait eu ses chiffres surréalistes sur la perception du viol par les Français (je ne te les redis pas, tu pourrais avoir des envies de nausée). Ensuite, il y avait eu ces deux types un soir qui m’avaient dit combien « j’étais charmante » en pleine rue et à qui j’avais mal répondu, et ma meilleure pote rétorquant « mais Élo, fais gaffe à la façon dont tu réponds ! ». Puis la relecture de Baise-Moi de Virginie Despentes et ses héroïnes qui buttaient tout ce qui bougeait, des nanas comme on en voyait jamais, un bouquin salvateur. Cette gamine sur France Inter aussi qui expliquait combien il fallait respecter les filles, qu’elles étaient libres de s’habiller comme elles le désiraient mais que oui, parfois ses grands frères lui disaient de faire attention à son look à elle, elle acceptait parce que « c’était des garçons qui savaient ce qu’il y avait dans la tête des garçons » . Il y avait aussi ma pote qui m’expliquait pourquoi elle ne portait jamais de jupe sinon c’était des réflexions garanties dans son quartier, une nana de presque 30 ans avec un caractère gros comme ça. Un débat aussi sur les femmes dans la musique et une nana qui avait rétorqué à une journaliste de Slate.fr (qui avait écrit un super papier sur le désolant traitement des nanas dans ce milieu) : « Il vaut mieux ignorer les remarques, les mépriser que d’y répondre. »
Oui, fermons nos bouches, cachons nos jambes, taisons nos désirs, étouffons nos sensations d’injustices permanentes, restons polies, ne nous énervons pas trop fort … Comme ça on sera directement de retour en 1960. La vérité : je suis lasse.
Peut-être que BB était lasse aussi et c’est pour ça qu’elle n’a fait que ce qu’elle voulait et un beau jour a dit « tchao, tchao le monde du cinéma » puis le monde tout court. Non, ce papier ne signifie pas que je vais finir ma vie à défendre la cause animale et à voter à l’extrême. J’aime trop mon McDo et mes parents communistes pour une telle fin. Mais parfois, je me demande comment on arrivera à bout de tout ça, comment on aura les mêmes droits. Ce droit d’être belle, égoïste, indécente ou moche, généreuse et pudique. Je ne te parle même pas d’égalité salariale et de tous ces autres combats utiles. Je te cause de la base, du quotidien, de l’H-24, le jugement dans nos petites têtes, garçons et filles compris, les petites phrases anodines dans nos bouches, les regards habituels, je te pointe du doigt ce patriarcat infiltré dans toutes nos cervelles, de tout bord. La vérité : je voudrais que ces choses abjectes implosent dans nos cervelles.
PS : Un jour, j’ai découvert que Simone avait écrit un portrait de Brigitte pour un magazine américain, elle l’utilisait comme symbole de l’émancipation des femmes. J’ai compris (enfin, il était temps !) qu’elles n’étaient pas si inconciliables que ça. Beauvoir écrivait :
« Elle se fiche comme d’un iota de l’opinion des autres. Elle ne cherche pas à scandaliser. Elle n’a pas d’exigences : elle n’est pas plus consciente de ses droits que de ses devoirs. Elle suit ses désirs. Elle mange quand elle a faim et fait l’amour avec la même simplicité désinvolte. Le désir et le plaisir semblent pour elle plus convaincants que les préceptes et les conventions. Elle ne critique pas les autres. Elle fait ce qui lui plaît, et c’est cela qui est perturbant. Elle ne pose pas de questions, mais elle offre des réponses dont la franchise peut être contagieuse. »
Conseils d’ami : à lire si tu veux des élans féministo-cultureux-confus : Baise-Moi de Virginie Despentes/ King Kong Theorie de Virginie Despentes/ Boys Boys Boys de Joy Sorman/ Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir/ La Femme rompue de Simone de Beauvoir/ À écouter pour s’inspirer de Bardot : Moi, je joue/ Je me donne à qui me plaît/ Ne me laisse pas l’aimer/ Je Danse donc je suis/ Harley Davidson/ Je t’aime moi non plus