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jeudi, 09 juin 2016

Le cul entre deux chaises

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Vendredi 2 mars 2016, huit heures du matin, je me pointe à l’un des comptoirs de l’aéroport d’Orly les yeux encore mi-clos et des miettes de croissant dans l’écharpe, pas fière d’être non-douchée mais très fière d’être à l’heure pour mon vol. La responsable du guichet m’accueille tout sourire, sûrement attendrie par ma dégaine d’enfant tout excité de prendre l’avion puis, lorsqu’elle penche les yeux sur mon passeport, plus une seule trace de compassion sur son visage. Elle se fige, me regarde de haut en bas puis me demande le motif de mon voyage. Elle ne l’avait pas demandé au passager me précédant. Je m’appelle Ana Benabdelkarim, et mon nom de famille est parfois compliqué à porter.

Trop arabe pour être « vraiment française »

S’il fallait revenir sur les divers surnoms reçus au fil du temps (spéciale dédicace au garçon de cette classe de CM2 qui, à l’époque des attentats de 2001 m’avait rebaptisée devant toute l’école « Ana BenLadenKarim », Valentin, si jamais tu lis ça), on en écrirait des pages. Et, le temps qu’il me faudrait pour lister le nombre de professeurs ayant réduit mon nom de famille à une espèce de bouillie verbale ressemblant plus à un meuble Ikea qu’une dénomination est à peu près équivalent à la durée de la saga Star Wars, bonus compris. Mais, si l’erreur est humaine, ce qui m’a toujours interloqué c’est la capacité qu’ont certains à remettre la faute sur toi, comme si ton origine était une épreuve et que de toute façon, c’était pas eux, c’est juste trop que c’était trop compliqué. Le fameux « c’est joli.. MAIS c’est dur à écrire » qui te fait penser que Dupont, ça aurait été vachement plus cool à porter. Et qui te fais chercher des astuces pour franciser le plus possible ton nom (« Benabdelkarim, comme Ben, Abdel et Karim, les trois prénoms attachés » est devenue ma réplique préférée). Enfin bref, à force d’être la Aïcha des groupes de potes, j’ai bien saisi que je resterai la française façon couscous pour toujours. Soit.

Trop française pour être « vraiment arabe »

Il faut bien l’avouer, je n’ai pas la gueule de l’emploi. Certes, j’ai hérité d’un patronyme « tropical » comme dirait votre vieille tante qui vote trèèès à droite, mais mes yeux bleus, ma peau blanche et mes cheveux turquoise ne crient pas « Sahara ». Et, à défaut de tout miser sur cette bonne vieille moitié française dont j’ai hérité (pur produit de la Meurthe et Moselle, s’il vous plaît), j’aurais pu m’affirmer comme la marocaine que je suis, sauf que j’ai récemment découvert que je n’en aurai pas le droit non plus.

Retour à la case aéroport quand, revenant de Rabat, la douanière m’interroge sur ma nationalité, puis enchaîne sèchement en me demandant si je compte prendre la nationalité marocaine. Réponse négative de ma part, elle enchaîne sur « Pourquoi ? Vous vous en fichez c’est ça ? », puis finit par me jeter mon passeport en ponctuant d’un charmant « dégage ». Evidemment, j’aurais du lui répondre que je ne ressentais pas le besoin d’avoir des papiers marocains, que ma famille, mes liens de sang et mon goût très prononcé pour le thé à la menthe me faisaient me sentir ici chez moi, mais j’ai préféré attendre de trouver LA répartie du siècle trois heures plus tard, seule, chez moi. Youpi.

Alors, c’est légèrement blasée et passablement énervée que j’ai accueilli le débat concernant la déchéance de nationalité. Puisque parfois, pour avoir une nationalité, il faut bien plus qu’une carte : l’approbation d’une société toute entière, par exemple. Et comme bien d’autres, c’est le cul entre deux chaises que je me trouve, à mi-chemin entre deux origines, coincée entre deux cases dans lesquelles il est impossible de rentrer (pire que dans un jean Zara, je vous jure). Et si en France, le climat actuel fait qu’il est mieux perçu de se rendre à l’église le dimanche plutôt qu’à la mosquée le vendredi, c’est parfois en baissant les yeux que j’ai pris l’habitude de présenter mes papiers d’identité. Les yeux baissés, mais le cœur autant petit Lu que cornes de gazelles.

Avalon

Avalon est née en 1994 et roule pas encore très bien sur des patins venus tout droit des années 90. Actuellement aux Beaux-Arts de Toulouse, la jeune illustratrice rêve de vivre de ses chouettes petits Mickeys, de faire bouger ses boobs en rythme (genre comme Shakira ? Tu me dis si je me trompe Avalon), et de faire tout ça en buvant des Bubble Teas. Je sais pas si c'est possible d'ailleurs de faire blobloter ses pecs avec un thé au Tapioca. Ça me donne envie d'essayer.