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jeudi, 03 octobre 2013

LE GÉNIE D’EUGENIDES

Par
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J’ai un peu honte de l’admettre, mais je suis une vraie petite poupouffe “pas comme les autres”. Ce n’est pas la faute de la musique : Sonic Youth n’a pas changé ma vie, et Courtney Love me fatigue au plus haut point.

Mais je ne me suis jamais remise de Virgin Suicides.

The Virgin Suicides

Souvenir de 1999. J’ai 13 ans. J’ai enfin eu le droit de sortir le mercredi après-midi pour glander avec mes copines dans les rues de Tours, et occasion rare, ma mère m’a filé de l’argent pour qu’on puisse voir un film. Personne ne s’étant vraiment décidé, j’opte pour le truc dont la bande annonce était passée sur Canal + : le premier film de Sofia Coppola.

On a raté la séance ce jour là.

Je n’ai jamais vraiment aimé le cinéma. Sérieux, ça bouleverse trop cette saloperie. J’ai pas les nerfs assez solides, et je perds toujours quelque chose dans la salle. C’est noir, c’est silencieux, ça me fait peur. C’est glacial et t’es avec plein d’inconnus. C’EST QUOI VOTRE PROBLÈME LES GENS QUI ONT UNE CARTE UGC SANS DÉCONNER.

Pourtant, la semaine d’après, avec ma copine Claire, on y est quand même retournées. J’étais poussée par un truc bizarre, fallait que je voie ce film, sans trop savoir pourquoi.

Et on n’a pas manqué la séance cette fois-ci.

Il y a eu un petit moment où on a flotté dans un silence un peu bizarre tandis qu’on reprenait notre souffle, juste après avoir quitté la salle. Et puis il y a eu aussi de la gêne dans le bus 55 qui reliait Tours à notre petite ville de banlieue, Fondettes. Claire et moi avions l’impression d’avoir vu un film interdit, mais, pour dédramatiser le truc, on en a bêtement gloussé.

“C’ÉTAIT NUL ET MOU ET OLALA ON SAIT MÊME PAS POURQUOI ELLES MEURENT À LA FIN. C’EST QUAND QUE ÇA SORT YAMAKASI ?”

Le bus a fini par me déposer en bas de ma rue. J’ai remonté seule l’avenue Honoré de Balzac, et, d’un coup, un peu étrange, arrivée à la maison et sans bruit, je suis montée dans ma chambre. Jusqu’à l’heure du diner, j’ai regardé le plafond.

Il s’était passé un truc chelou dans mon petit coeur de 13 ans, et je n’ai pas vraiment aimé ça.

J’étais noyée sous une accumulation de questions. Il y avait plein de pourquoi qui restaient en suspens, et puis ces images poudrées, et ces filles diaphanes, le suicide, c’est bizarre le suicide, comme l’adolescence c’est un truc inexplicable, solitaire et profond, un mystère que personne jamais n’élucidera sans en briser toute la magie et la tristesse.

Je croyais que c’était le film qui m’avait bouleversée comme ça. J’ai pourtant fini par voir les autres réalisations ennuyeuses et vides de Sofia. Si Virgin Suicides est le film le plus réussi de sa filmographie, ce n’est pas grâce à elle. C’est grâce au roman dont il est tiré.

Le véritable responsable de ma remise en question, de ma raclée, c’était un américain d’origine grecque, cinquantenaire, avec une petite moustache et une sérieuse calvitie.

Jeffrey Eugenides.

J’ai fait sa rencontre en format poche à la FNAC. Après avoir repris mon petit souffle, j’ai pensé qu’il y avait peut-être des réponses aux questions teenages que je me posais dans le livre éponyme.

Je n’y ai rien trouvé, à part ma passion pour la lecture. The Virgin Suicides a bouleversé mon rapport aux livres. Par sa simplicité et sa beauté, son humour comme sa justesse, ça a été une révélation. On pouvait écrire des trucs compréhensibles en laissant tout de même des zones d’ombre, on pouvait aborder toutes les thématiques qu’on voulait, et on pouvait aussi faire un bon roman contemporain sans en faire des caisses niveau drogue, sex and rock and roll. Ça peut être juste et vrai, un bouquin. C’est pas obligé d’être chiant et pompeux. Et il y a des auteurs qui sont tellement forts dans l’exercice, qui te comprennent tellement bien, amie lectrice, qu’ils sont capables de se mettre à la place de ton petit cœur de kiddo de 13 balais.

J’ai tellement aimé ce livre. Pendant toute mon adolescence, j’ai voulu que les gens l’aiment aussi. Je l’ai prêté de nombreuses fois en essayant de voir si ils y constataient les mêmes choses que moi. Ils allaient changer à sa lecture, j’imaginais déjà leurs yeux s’embuer, détenteurs d’une vérité encore un peu confuse. Je pouvais changer leur vie, putain, c’était dans ces pages que j’avais jaunies en les lisant en boucle sous le soleil.

On me le rendait majoritairement en disant “C’est bien, mais c’est TELLEMENT triste”.

Pauvre naze. Fin de la conversation. Fin aussi d’une prochaine amitié : si tu n’avais pas compris le livre, j’étais persuadée que tu ne m’avais pas comprise.

Depuis, j’ai arrêté mon délire de petite bibliophile nazie. Mais il y a un truc dont je suis sûre. Jeffrey Eugenides est l’une de mes âmes sœurs. Pas dans le sens sale. On ne s’aime pas, non. On se comprend. Des Etats-Unis, il interprète les problématiques que je traverse et pour m’aider il écrit des livres.

Mon professeur de japonais du lycée, qui faisait partie d’une secte un peu bizarre, vous confirmerait cette réflexion. Akito appelait ça la « conscience collective ». C’est un petit nuage qui flotte au dessus de nous et dans lequel on peut trouver toutes les idées du monde. Des fois, elles atterrissent sur d’autres gens que toi : c’est pour cela que des fois il y a des idées que tu penses avoir eu et qui sont réalisées par d’autres. Fallait pas mettre ça dans le petit nuage, bordel. C’est collectif.

Moi, dans ce bordel sans nom, entre les envies de révolution de tout le monde, les soucis climatiques et les problématiques du progrès, je laisse des petits messages à Jeffrey. Il y répond toujours en temps et en heure, d’une manière belle et concrète. Je ne vois que ça comme explication rationnelle. Jeffrey, même si il est prof à Princeton, qu’il a plein de boulot et une vie familiale sûrement bien remplie, il prend tous les messages que je lui laisse. Il prend souvent son temps. Il est vrai qu’il ne la joue pas à la Amélie Nothomb : Jeffrey ne sort qu’un bouquin environ tous les 10 ans. Mais c’est le temps qu’il faut pour faire quelque chose qui vaille vraiment le coup. Regarde nous, on a presque 30 ans, et on n’est toujours pas terminés, alors…

Si Virgin Suicides à bouleversé mon adolescence, l’effet a été le même avec Middlesex, son second bouquin (et prix Pulitzer, oui Madame et Monsieur). Il est sorti en français l’année de mes 18 ans. La même raclée. Un mois d’été pour lire ce pavé entre deux pauses de mon service de barmaid, et le sentiment d’avoir trouvé une oreille rassurante et bienveillante. L’invitation au voyage du monde adolescent au monde adulte. Un truc sur l’amour de soi, des autres, la quête de sa propre identité, une saga familiale parfaite. Je quittais au même moment la maison de mes parents pour partir à Paris, j’étais perdue, et il avait dû le sentir (le message dans le nuage). Il avait été écrit pour moi, ce bouquin.

Je n’ai pas voulu le prêter, celui-là. J’avais pas de temps à perdre avec l’incompréhension des gens, et puis je laisse toujours des commentaires chelous dans les livres d’Eugenides. Ça ne te regarde pas, c’est entre lui et moi.

Jeffrey Eugenides: The exitement of writing

Et puis là, l’année dernière, il a sorti Le roman du mariage. Cette fois-ci je n’ai pas pu attendre et je l’ai lu en anglais. J’ai encore été chamboulée. Un vrai bon roman sur l’amour et les jeunes adultes, où Jeffrey mélange références à la littérature victorienne et s’interroge sur la vraie notion de ce sentiment admirable dans nos vies de jeunes gens modernes. Je n’avais jamais constaté à quel point c’était tragique (ou pas plus mal ?), que les héros ne meurent plus de ça dans les romans contemporains. On résiste tellement à tout maintenant, on tire des traits sur des étapes, sur des gens, si facilement…

Comme à chaque fin de lecture d’un livre d’Eugenides, je me suis sentie un peu triste. Et de nouveau, un peu seule. Je relaisse alors des petits messages, là-haut, dans le nuage de conscience collective, et j’attends qu’il y réponde. Les dernières questions évoquent mon futur désir de fonder une famille, la peur de la routine. Le fait de prôner dorénavant la raison pour la passion. La peur de la vieillesse, des responsabilités, de l’engagement. J’en ai laissé plein, là-haut, et il finira par en faire quelque chose. Pas maintenant, je sais. Mais quand j’aurai enfin l’ouvrage entre les mains, je n’aurai plus à m’en faire.

Parce que finalement, les bons livres, ça n’existe pas. Il n’y a que ceux qu’on lit au bon moment.

Et pour ça, Jeffrey et moi, on est sur le même fuseau horaire.

Marine

Leader Autoritaire
Marine est née en 1986 et vit avec un petit chien trop mignon. Après avoir joué avec des groupes de filles ultra classes d'après les autres membres (Pussy Patrol/Secretariat/Mercredi Equitation), elle gagne sa vie en écrivant sur des sujets cools et se la pète déjà un peu. Ca ne l'empêche pas de traîner en pijama dégueulasse le dimanche en essayant de twerker mal sur du William Sheller. L'AMOUR PROPRE C'EST DÉMODÉ OKAY.

Judith

Judith a 31 ans et le sac vernis au bon format. Petite jeune femme au look toujours parfait, tu pourrais penser que cette copine de Marine est une jolie poupée. En fait, elle est agrégée d'histoire, ancienne professeure et nouvellement graphiste-illustratice, amatrice de garage dégueu (et de bédé indé) le weekend. Voilà. Comme ça ça t'apprendra à juger que sur les apparences. Compte instagram: @das_madchen_