Coucou, si tu viens d’arriver, le début de Treize est là.
C’est le menton haut que je coupe donc au travers de la foule. Le menton haut mais le ventre rentré aussi, accompagné d’un regard torve/assassin comme dans le clip de The Verve. Moi aussi je peux être ce genre de meuf, c’est pas dur, faut faire la gueule et marcher comme sur un catwalk, à la Naomi Campbell , démarche de panthère mais cette fois-ci qui serait plutôt élevée à la rillette. J’essaie de zieuter discrètement voir si Micron jette un coup d’œil, non, il parle à une meuf au combo rimmel et malboro, va faire le poids contre ça, punaise, il faut vraiment que je me mette à fumer, tant pis pour les dents jaunes et l’haleine de poney, je mets ça sur ma to do mentale.
The Verve
Ne désespérons pas. La Marine nouvelle génération arrivera peut-être à inverser la tendance. J’ai bien l’intention de lui retourner la tête et de le laisser ensuite chouiner car notre amour est impossible, en espérant qu’il ne s’en remette jamais et qu’il tombe dans la drogue ou dans le Nutella en mode VNR, qu’il prenne 40 kilos et quelques plaques d’acné et que moi je continue ma vie de meuf trop cool, bonne et naturelle.
La sonnerie du collège retentit, et me voilà prête à passer le portail blanc avec quelques traces de rouille, un peu comme le Romeo de Baz Luhrmann (LEONARDO TROBO) a du le faire aux portes du paradis, sans le surveillant blindé de weed qui nous saoulait déjà l’année dernière avec Nirvana.
Le mec connaît rien à la musique quoi.
ALLO LOU BEGA.
Mon collège ressemble à une maquette d’architecte tellement il est glaçant de perfection. Tout blanc, fièrement dressé sur une pelouse verte immaculée dont la repousse occupe un mec à plein temps, il crache à la sortie de la troisième des futurs gérants de succursales de Norauto, quelques banquiers, une ou deux propriétaires de Point Soleil et de nombreux gros ratés dont je n’espère pas faire partie. Je croise les doigts.
Alors que j’arrive dans la cours, une voix hurle mon prénom. C’est Sandra, ma meilleure amie, le résultat d’une décision prise arbitrairement l’année dernière parce qu’elle est gentille et qu’elle, au moins, ne crache pas sur mon dos comme cette grosse conasse de Gaêlle (ndlr : alors que je l’ai fait pour tous les autres, je ne changerai pas le prénom de Gaêlle car c’était une grosse conasse en 1999. Gaêlle, si tu lis ce texte, j’espère que tu passes tes après-midi à castorama et que ta moustache est encore plus proéminente qu’en 1999).
Sandra, elle est ultra badass, elle fumait déjà des clopes en sixième, elle est formée comme une danseuse de Shaggy, et elle fait tourner la tête de pas mal de garçons, encore plus que les mignonettes Eristoff chopées dans la réserve de leurs beaux pères. Quand je la regarde bien je ne comprends pas vraiment pourquoi, mais c’est sûrement car je suis une grosse conasse jalouse , du coup je ne cherche pas plus loin.
Sandra a le feu à ses hormones depuis l’année dernière, et la présence d’un appareil dentaire dans sa bouche n’éteint rien chez elle. Sa langue a plus tourné que la roue de la fortune, du coup ses conseils me semblent précieux quand j’imagine le moment M, où ma cavité buccale va rentrer en contact avec celle d’un confrère.
On se retouve toute les deux devant la liste indiquant les différentes répartitions de classe, alors que son futal Jennifer concentre les regards masculins, tous pétrifiés par la naissance d’un désir qu’il ne savent calmer qu’en claquant les soutifs en cours d’EPS. Elle hurle.
« Marine ! On est dans la même classe ! »
Je joue la surprise mais de qui se fout-on, putain. Quels autres gogols auraient voulu faire section européenne ? Deux heures de cours par semaine en plus, si ça sent pas la virginité jusqu’à 35 ans ça, c’est que je ne m’y connais pas. Je ne sais pas qui j’ai voulu impressionner en cochant une option l’année précédente, mais WELL DONE MARINE, tu as pris un indélébile et tu t’es marqué toi-même le L de Loser sur le front. Fallait le faire.
Je parcours la liste rapidement. Beaucoup de noms ne me sont pas étrangers. Des binoclards, des délégués de classe, des binoclards délégués de classe, et pas mal de personnes que je retrouve le mercredi matin au presbytère de Fondettes pour le cours de cathé.
Pitié.
Achevez-moi.
Allez ça ne peut pas commencer comme ça.
Respire.
Rentre le ventre putain, tu fais quoi si Micron passe ?
Et prends l’air mystérieuse, il va falloir s’accrocher cette année pour regagner des points charisme, et par ta faute. merde.
Je continue d’éplucher correctement la liste, espérant y voir je ne sais pas moi, le reste de mes copines, le grand beau gosse un peu con dont je me rappelle jamais le pré..
Non.
Pas lui.
Je bafouille
« V. Il est dans notre classe.«
« J’ai vu, me dit Sandra. Je suis désolée. »
