RETARD → Magazine

vendredi, 17 octobre 2014

Avant, la vie ça semblait compréhensible

Par
illustration

En position semi-allongée sur mon lit (meilleur endroit du monde en cas de dimanche après-midi morose), mon portable posé sur ma couette, mon ordi sur les genoux, les écouteurs dans mes oreilles, l’espace d’une seconde, j’ai eu ce moment de recul. Si, vous savez ce moment où tu te regardes toi, d’en haut et tu analyses ta propre situation. Et bien je vous jure : j’aurais préféré ne pas m’élever.

En quelques secondes, 3clics, et un doigt qui glisse, j’avais eu des nouvelles d’une amie vivant à 1000 kilomètres de chez moi, appris que la saison 4 d’Homeland reprenait Jeudi, qu’un nouvel otage avait été exécuté, que je commençais bien à 8 h vendredi, que l’OM avait gagné cet aprem, que j’avais une soirée le 22 mais aussi un dossier à rendre le lendemain et qu’un chat était capable de faire du roller.

Alors comme ça, ça peut paraître cool. Ultra connectée, toujours au top de l’information, avide de découvrir de nouveaux films, musiques, artistes, attentive à ce que les autres font, publient, aiment… Mais en me regardant ce dimanche, je me suis juste vue dans mon lit, en jogging, respirant au rythme des cliquetis de mon clavier, le regard fixé sur un écran.

Alors, cette question m’est venue : 40 ans auparavant, en ce dimanche après-midi pluvieux qu’aurais-je fait ?

Waouh mais oui c’est vrai ça, cet après-midi il aurait été comment ?

Bon je l’aurais sûrement passé avec des amis… mais attends, on faisait comment pour se donner rendez-vous ? Le jour d’avant ? Ouais mais si quelqu’un était en retard ou changeait d’avis, ça se passait comment ?

Ce qui est drôle avec notre génération, c’est qu’on est devenus accros à quelque chose sans même s’en rendre compte. Et moi la première. On passe la plupart de notre temps à se parler par écran interposés, à se regarder via screenshots, snapshat, selfies en tout genre, à liker tout ce qui ressemble de près ou de loin à quelque chose qui nous parle… sans qu’aucun de ces moments ne soient uniques. Tu te rappelles de ce que tu as liké hier ? De la photo que tu as envoyée à la moitié de tes contacts ? Non. Parce que tout l’univers auquel l’on se confronte est de plus en plus éphémère. Quand tu racontes ce que tu as fait de ton week-end, tu précises rarement que tu as passé 2 h devant ton ordi et encore moins le contenu de ce que tu as regardé. Toi même tu ne sais plus. Sur le moment c’était drôle, sympa. Et maintenant plus rien. En fait, on passe la moitié de notre temps à faire des choses qui, le lendemain, seront devenues un vaste océan d’informations sans noms.

Je ne voudrais pas avoir le discours de mes grands parents (qui pensent encore qu’internet ne sert à rien puisqu’ils ont le dernier dictionnaire Larousse) tellement je me suis battue (et me bats encore) pour leur prouver à quel point internet était un outil révolutionnaire. Révolutionnaire car il permet à tous d’accéder à toutes les cultures, il fait tomber des frontières qui, jusque là, paraissaient insurmontables. Et j’y crois encore. Enfin, en théorie.

La vérité c’est que les histoires que tu raconteras plus tard, seront, de près ou de loin, les mêmes histoires que celles de tes grands parents : des frasques d’adolescents, des rencontres, des situations insolites, des expériences professionnelles, des voyages… Et j’espère grandement que ces expériences seront renforcées par l’ouverture (des millions de fois plus grande) offerte aujourd’hui grâce au progrès. Mais j’ai aussi peur que ces moments soient réduits, que les moments que tu passes devant un écran, hors du monde et seul ne soient déduits des moments de bonheur, plus simples, passés avec les gens que tu aimes.

Je suis angoissée à l’idée que nous devenions les otages de ce petit rectangle lumineux qui nous sert, paradoxalement, de connexion au reste du monde.

Je ne voudrais pas vous faire un remake de Her, je n’ai pas le talent de Joaquin Phoenix mais tout de même…

Les yeux rivés sur cette lumière, on croit être ouverts, connectés, citoyens du monde, jusqu’au moment où la lumière s’éteint. Ton portable n’a plus de batterie. Tu attendais le bus et tu ne trouves pas d’autre occupation que de contempler le monde qui t’entoure. Et là, tu t’éveilles, tu te rends compte petit à petit que ça fait très longtemps que tu n’as pas vu une personne attendre dans sa voiture au feu rouge, une petite fille essayant de faire du vélo, l’affiche du théâtre du coin devant le bureau de tabac… ça fait bien longtemps que tu aurais dû t’apercevoir que les gens ne se regardaient plus. Il aura suffi d’une erreur d’optimisation de la batterie de ton portable pour te rendre compte, une fois revenu dans la vie réelle, qu’autour de toi, le monde était fixé dans le même position : la tête baissée, les yeux rivés sur un écran, à écouter leur musique, à regarder leurs photos, leurs amis, leurs vidéos… à oublier qu’il y avait un chauffeur dans le bus et des passagers qui, parfois, s’asseyaient près d’eux. Un scénario de science-fiction version « real life ».

Loin de moi l’idée d’affirmer que le monde était mieux avant. Aujourd’hui, grâce à internet chacun peut s’exprimer, communiquer même à l’autre bout du monde… J’ai découvert des artistes dont je suis fan : Lena Dunham, Nora Hamzawi, Banksy, JR… et d’autres dont je suis moins fan : Justin Bieber pour ne citer que lui… grâce à internet ! Chose qui m’aurait été impossible, il y a 30 ans. (pour Justin remarquez ça n’aurait peut-être pas été plus mal)

Seulement voilà, si nos esprits se trouvent tous à des millions de kilomètres, à qui avons nous affaire lorsque l’on se parle ? La fille qui like une photo d’un diner à Hong Kong ou la fille qui est réellement en train d’écouter ce que je lui raconte ?

Perdu entre la vision que l’on a du monde qui nous entoure et celle qui nous est transmise via les réseaux sociaux (mon dieu j’ai l’impression d’être vieille en disant ça), on se perd. L’on croyait être libre, et pourtant les images renvoyées tous les jours sur nos Smartphones nous donnent des modèles à suivre pour être mieux, plus beaux, plus intelligents, plus cultivés… Bref, nous avons l’impression de ne plus jamais être à la hauteur. Même toi qui m’envoies ce Snap avec pour commentaire « horrible », je sais que tu as repris la photo 4 fois pour, qu’avec le filtre, tu sois canon, même en tirant la langue… Comme Cara Delevingne.

Et si l’on se donnait rendez-vous pour voir ce que cette grimace donne en vrai ? N’oublie pas d’être à l’heure parce que je laisse mon portable chez moi !

Bon, malgré toute la bonne volonté du monde, et quelques hésitations, je n’ai pu me résoudre à l’abandonner …

Mais j’y travaille !

Avec tous les hashtags qui conviendraient, je vous salue.

Astro Nascha

Astro Nascha a 22 ans et un carnet à croquis (SANS DÉCONNER). Après avoir étudié la psychologie et les Arts Plastiques, elle décide de se lancer comme illustratrice comme une grande et en freestyle. BON ESPRIT. Elle remplit donc son frigo de cette manière, en attendant d'être reine dans une autre Galaxie et d'avoir assez de thunes pour faire le tour du monde. On espère juste qu'elle nous enverra des cartes postales.