L’autre jour je me faisais ce constat : quand on se fait beau c’est pour les filles, et quand on se fait belle c’est pour les filles aussi.
C’est vrai, on peut prétendre que c’est pour nous même qu’on se torture avec les poils, les cheveux, les habits comme ci comme ça, on peut prétendre que c’est notre seul regard qu’on veut séduire dans le miroir le matin, mais moi je crois plutôt qu’à travers nos yeux, on réfléchit à ce que vont voir les autres filles, même si on le dira jamais. A cause du concours perpétuel de la jambe la plus lisse, du cheveux le plus brillant, de la fringue la plus cool. Compète perpétuelle des filles entre elles et qui dure depuis, je pense, la nuit des temps. On pourrait faire des dissertes dessus.
Faudra pourtant bien l’admettre un jour. Que c’est pour les autres filles qu’on se maquille, qu’on se teint les cheveux, qu’on compare le bleu roi et le bleu canard pendant un quart d’heure dans la cabine d’essayage. Faudra bien avouer un jour qu’on se jauge du regard, et qu’on se sent rassurée de voir que la fille canon en bout de terrasse mange son burger vegan en s’en mettant partout, comme tout le monde. C’est peut être nul mais y a généralement que ça pour qu’on s’autorise à pas être parfaite en vrai.
Faut dire que depuis l’enfance c’est comme ça. Depuis qu’on a des petits cheveux fins dans lesquelles nos mères glissaient des barrettes pailletées pour aller au parc ou à l’école, oui, c’est comme ça depuis le début, et vite t’apprends ça, qu’il faut être jolie. Mais un jour, tu vis ta première expérience de vraie compète. Et tu comprends que c’est pas toujours bon, quand t’es une fille, de te la jouer libre et heureuse et plus belle de la classe, et que les autres pécorettes t’en veulent de causer fort pis d’avoir le décolleté à l’air quand tu ris. Les autres filles regardent ça, si tes jambes sont lisses dans des habits courts l’été, et c’est pas si facile d’être une fille paisible qui s’occupe pas de ce genre d’affaires, même quand on n’a pas les jambes si lisses que ça genre moi.
On pourrait se dire pour se consoler que ça passe avec l’âge et que c’est un truc de pré-ado pas confiance. Non. Il faut le savoir, ça dure sans doute toute la vie. La preuve c’est que même les vieilles dames font la compète. Elles aussi, elles surveillent la voisine pour savoir si elle vieillit mieux ou moins, pour savoir si elle coupe encore son bois et ses rosiers, si elle nettoie encore le dessus de ses placards debout sur la chaise, un chiffon dans les mains, avec des soupirs crispés dans la gorge, essoufflée par l’effort. Les vieilles dames aussi surveillent si les voisines ont des hommes qui viennent boire du vin rosé sur la terrasse l’été, il y a de l’ombre on est bien, mais quand même à son âge on devrait pas boire autant de vin, disent les vieilles dames à propos de leurs voisines: elles montent la garde.
Le plus triste de l’affaire parce qu’allez bon, on pourrait aussi en rire!, le pire donc, c’est qu’on se fait engrener là-dedans même avec les filles qu’on connaît pis qu’on aime, et on sait plus comment découdre l’affaire pour que ce soit pas la compète des sexes féminins.
Y a, des fois, ce jour malheureux où une amie t’as balancé d’la concurrence dans les dents, et t’as rien compris sur le coup, pis c’est vraiment le ouaï parce qu’y faut passer au dessus, et ça par contre y a personne pour nous l’apprendre. Ni nos mères, ni nos grand-mères ni nos vieilles tantes qui sont toujours dans le jeu malgré leur poils au menton (Tatie lis pas ça).
Bref. On se met des bâtons dans les roues, nous les femmes avec ça, la preuve c’est qu’à force de compète entre filles c’est le plus souvent les hommes qui gagnent depuis des siècles et des siècles.
Personne n’y échappe. J’en parle comme ça, comme si j’étais au dessus de ça, mais pas du tout. Et la seule chose touchante avec ça, c’est que ça en dit long sur le manque de confiance qu’on a en dedans, et le besoin de se rassurer, tout le temps.
Alors avec ma super copine pour garder notre zéro de compète, on fait un truc, c’est le concours inversé. On fait celle qu’a eu la pire sale expérience, celle qu’a eu la pire fringue offerte à Noël, celle qu’a eu la pire coiffure du monde, celle qu’a eu le pire échec sentimental…
Et au fond c’est vachement plus drôle, et vachement plus réconfortant aussi, si tu veux mon avis.