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Treize est un roman-feuilleton qui débute ici
Le précédent épisode se lit là
Je pars samedi,
Et il ne s’est rien passé du tout.
Les gens continuent leur petit bonhomme de chemin tandis que je suis coincée sur la ligne de départ, le moteur de mon coeur en rade. Une fois que l’annonce a été faite de mon prochain déménagement, et que tout le monde s’est affligé le temps qu’il fallait,
Trop nul
C’est super triste
J’espère que tu vas bien t’amuser là-bas
la vie a repris son cours. La mienne reste quant à elle en suspens, au moins pour quelque temps.
Sandra a un nouveau petit copain qui a l’air de bien la traiter. V. n’est même pas là cet après-midi, un truc à faire, je n’ai pas bien compris, je n’ai même pas pu lui dire au revoir. Les gens bougent, évoluent, même en quelques semaines, et je suis figée par l’impuissance que j’ai sur mon avenir. J’ai calé, je dois attendre la Toussaint pour reprendre un nouveau chapitre que je n’ai pas demandé.
Je n’ai plus envie de rien, je subis, tout me glisse dessus, les gens, les moments, le regard de V., parfois sur moi, je l’ai surpris subrepticement, mais il ne s’est rien passé depuis la fois sur ce fichu banc.
Parce que je ne suis qu’un espèce de truc torve qu’on pose à un endroit en attendant que le temps passe, et que je dois faire peine à voir comme dirait ma mamie, maman m’autorise plein de trucs. On a mangé chez Pizza Hut par exemple. Et parce qu’on a longuement insisté avec Sandra, j’ai le droit d’aller dormir chez elle, parce que c’est la dernière fois.
La toute dernière fois.
Ma vie sonne actuellement comme ça.
Elle me dépose vendredi soir devant le quartier résidentiel où s’est installée la famille de Sandra avec mes quelques affaires qui ne sont pas déjà emballées dans des cartons. Ma mère ne prend pas la peine de se rassurer et d’aller saluer les darons, elle ne les connait pas et ça ne vaut plus la peine de les connaitre dorénavant, et puis bon, quatre ans d’enseignement catholique, pas besoin de me mettre des barrières, elles sont déjà en moi, elle me dépose et voilà.
Je suis rassurée que ma mère s’en fiche.
Car les parents de Sandra ne sont pas là.
On a la maison pour nous. Ça me fait un peu peur. On discute comme si on était des adultes indépendantes qui gérerions correctement leurs vies. Elle me parle de Romain, comme il est gentil, elle me parle du fait qu’il ait déjà son scooter, et je commence à sortir mes affaires pour me mettre en pijama, et me caler devant la télé quand elle me balance
-Ah non, la soirée ne va pas se passer comme ça. Prend tes affaires. On se casse.
-Mais il fait nuit !
-Et ?
-Ma mère ne voudra jamais que je sorte.
-Ta mère n’est pas là Marine. Oh que si on va sortir. C’est ta dernière soirée, on va pas la passer devant les enfants de la télé.
Elle me prend la main, des malboros qu’elle avait mal cachées dans sa sacoche Viahero, et, sans demander notre reste
on taille la route.
Elle va tellement me manquer Sandra, elle est tellement légère alors que chez moi tout est grave, c’est vraiment une chouette fille. Elle me fait rire, elle est là, bienveillante, même quand je peux être une sale conne, ce qui arrive parfois. On s’enroule toutes les deux dans ma nouvelle écharpe géante (encore un cadeau de mes parents pour déculpabiliser), on rejoint les bords de la loire et on imagine qu’on pourra plus nous séparer, comme si
Comme si,
Quoi, hein
Rien du tout.
C’est terminé
Je vais m’en aller.
Et la claque qui revient toujours, sur la joue gauche et puis sur la droite, une piqure de rappel qui diffuse tout son fiel, comme si je pouvais pas oublier, même un tout petit instant.
Après une bonne vingtaine de minutes de marche, on arrive devant une belle maison que je ne connais pas. Ça doit être là que vit le nouveau mec de Sandra, alors je me prépare à poireauter sur le trottoir pendant qu’elle roule des pelles et lui pavane en faisant des roues avant.
Elle prend un tout petit caillou et le jette à la fenêtre, comme dans les films.
Elle refait ça plusieurs fois parce que son mec n’entend pas.
La lumière finit par s’allumer et la fenêtre par s’ouvrir.
Ce n’est pas son mec.
On est devant chez V.
Il nous dit qu’on peut sonner aussi comme les personnes bien élevées au lieu de jouer à Romeo et Juliette
Ses parents ne sont pas là non plus, ils ont un diner, décidément, tous les parents sortent sauf les miens, alors Sandra sonne maintenant que ça ne sert à rien, tandis que je m’apprête à suffoquer.
Qu’est ce que je fais là
C’est un traquenard ?
Qu’est ce qui va se passer putain
Comment les gens ils font pour résister à un aussi gros niveau de stress au quotidien, quand ils passent du temps avec les gens qu’ils aiment
Je vais mourir,
je
vais
mourir
La porte s’ouvre et il est là, en bermuda et t-shirt, il fait encore jour dehors, un peu, c’est le crépuscule, celui de tout, de ma vie ici, des amitiés que j’ai tissé, de ce truc qui m’arrive quand je vois V et que j’arrive pas à formuler. Tout de suite je comprends pourquoi il n’est pas venu non plus cet après-midi en cours, il s’est fait enlever son appareil dentaire.
Il est beau, c’est insolent
tellement
il est beau maintenant
J’arrive même pas à le regarder longtemps, à formuler un mot, je regarde bêtement par terre quand il nous propose de rentrer chez lui, comme si c’était prévu depuis mille ans et puis la porte se claque derrière nous. Sandra me file un coup de coude et je serais prête à vomir, vraiment,
Mais je peux vraiment pas m’en aller en laissant comme souvenir d’avoir gerbé chez V.
-Vous voulez quelque chose à boire ?
-Non rien, non.
C’est sympa chez toi, lui dit Sandra. On peut visiter ? Elle est où ta chambre ?
-A l’étage, mais enlevez d’abord vos chaussures, sinon ma mère va gueuler.
Je délaisse mes affreuses Adidas, achetées à la solderie, et je suis le convoi qui se dirige vers les escaliers, alors que Sandra tapote sur son 3310, envoyant des messages à on ne sait qui.
Elle finit par piler au milieu du salon.
-Tu fais quoi ?
-Il y a Romain qui arrive là.
-C’est qui ? Il rentre pas chez moi lui, je le connais pas.
-Olala c’est bon, il passe me prendre, on va juste faire un tour, il veut me montrer comment il a débridé son scooter et après on revient.
Non.
Non non non non.
Pas toute seule. Avec lui. Je la regarde avec insistance, de ces yeux qui supplient
Je vais pas gérer Sandra
-Il arrive, bon je remets mes chaussures, je suis là dans pas longtemps okay ? Désolée Marine c’est vraiment pour trente minutes, ça te dérange pas V. ?
-Non non. Je m’en fous.
Et la porte se claque en laissant une grosse effluve de parfum Yves Rocher aux fruits rouges.
Je me retourne paniquée, comme un bébé chien abandonné sur une aire d’autoroute et il est là, comme si il savait ce qui était en train de se passer, comme si tout était normal du haut des escaliers.
Tu veux venir jouer à la play en l’attendant ?
Ouais, ouais, jouons à la play, occupons nous, je ne sais pas quoi te dire, je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas
Je ne sais pas ce qui se passe
bordel
Sa chambre est comme celle de Thomas Micron mais en mieux, il y a des posters de surf sur les murs, quelques uns de foot, il y a un Zizou qui traine chez tout le monde de toute façon. Elle est belle, propre, efficace. J’essaie de noter les détails, la couleur du bois, tout ça, jamais oublier, je le sais, c’est important ce qui va
ou peut
se passer
Il me sort de ma prison mentale de sa grosse voix.
-Je suppose que tu ne sais pas jouer à Fifa.
-Non.
-Ni a Final Fantasy ?
-Non plus.
-Je sais pas quoi te proposer alors.
C’est pas grave, moi non plus tu sais
Je ne sais pas quoi te proposer.
Je remarque un velux, placé habilement juste au dessus de son lit. Je m’allonge, histoire de bien voir la lune, ça donne une jolie posture de meuf cool ça, de regarder la lune et puis au pire je peux faire semblant de m’endormir, j’aurais pas à chercher des trucs intelligents à dire.
Le silence emplit toute la pièce, derrière un brouhaha de jeu vidéo lancé sans partie débutée.
Il est assourdissant.
-Tu vois la lune quand tu t’endors
Tu en as de la chance.
-Oui, c’est cool. Ça me repose.
Et le silence, quelques instants.
Je ne le vois pas mais j’entends les roulettes de sa chaise de bureau bouger
et lui se lever
Tiens attend tu peux te serrer
J’ai le coeur qui vient de trouver sa panne, et de partir à toute allure
Il rejoint la course,
Et double tout le monde,
Parce que
Quelqu’un est en train de s’asseoir sur le lit,
Quelqu’un est en train de s’allonger juste à côté,
Quelqu’un est près
Tellement près
Et tandis qu’on est là, le bras collé l’un à l’autre, sur ce lit de deux places qui sent le Scorpio
Nos deux visages seulement éclairés par la lumière de la lune, avec le bruit de lancement de Fifa 98 en fond, en boucle, fort
Mais pas assez
Pour cacher sa respiration stressée
Nos mains se frôlent, gentiment, je pensais accidentellement mais
Ce contact
dure
Phalange contre phalange, il y a une danse qui commence, une espèce de douce caresse étrange sans objectif
Il n’y a tout là, ça ne donnera rien et ça n’a aucun pouvoir, à part celui de maintenant, je suis là, tellement là, couchée sur le lit de V., les pieds ballants
Avec lui à mes côtés
Je pars demain
Et
Je ne veux pas
Tout réaliser
Tout assimiler
C’est comme si c’était du concentré de vie un truc fort et le bruit sourd qui m’emplit depuis des semaines il est clair à ce moment exact, il est tellement clair,
il
hurle
Et je ne sais pas si je respire ou pas, je sais pas si je dois tourner mon visage vers lui, ça officialiserait le truc et le rendrait vrai mais je veux pas, j’imprime tout mentalement, cette odeur, ce contact, je ne veux pas me tourner, je veux rester là
Toute ma vie
Dans la lumière du velux
Dans le bruit de fifa 98
Dans le parfum de Scorpio qui émane de la couette
A frôler
Sans m’arrêter
la main de V.
On est restés comme ça longtemps je crois.
Jusqu’au bruit de gravier sur la fenêtre, Sandra avait du oublier le coup de la sonnette, elle nous alertait que la soirée est terminée,
Que tout est terminé,
Tous les crépuscules.
Ne reste plus qu’à affronter la nuit, et celles qui s’annoncent, nombreuses.
V. a arrêté d’effleurer ma main et mon coeur s’est arrêté. Dans la même délicatesse, Il l’a emmelé ses doigts aux miens et les a serré fort,
longtemps.
Bêtement, une de mes larmes a atterri sur sa couette. Il a ensuite porté le dos de ma main, la droite, à ses lèvres, sur le duvet de sa joue, comme si j’étais Juliette,
Je peux être Juliette finalement
Un truc tout doux, un truc sans mots, la fin, et c’est tout. Il s’est rassis doucement, a soupiré la tête dans ses mains et sans rien rajouter, il a lancé une partie de Fifa, en me tournant le dos,
comme si
quoi ?
Il n’y avait plus rien à dire
Le moment était passé.
Game over,
le jeu est dorénavant terminé.
J’ai remis vite mes chaussures et j’ai claqué sa porte, je veux pas que Sandra remonte, je sais pas, je ne me suis pas retournée non plus dire aurevoir à V.,
qu’est ce que j’aurais
du
ou
pu
lui dire
Sandra a attendu et quand elle a vu mon état elle m’a enlacé un petit moment, sous le reverbère, sa veste sent la framboise, l’essence et la clope, elle va tellement me manquer. On est rentrées toutes les deux chez elle, il fait tellement plus froid sur la route du retour, la faute peut-être à la Loire, et quelques camions qui tracent trop rapidement leur route,
à ce coeur lourd qui vient se vautrer salement sur le bas côté.
Emmitouflées dans la même écharpe,
Juste pour être collées ensemble
Une dernière fois
Sous la lumière de la même lune, on a rien dit du tout avec Sandra
J’espère qu’elle l’a entendu du moins
Ce truc en moi qui sonne comme
Merci ?
Oui, c’est ça,
Merci beaucoup.