Pour recommencer au début de Treize, c’est par là
Après deux heures de cours où on nous noie d’informations et de formulaires à remplir
Que font vos parents dans la vie ? (je peux pas dire je n’ai pas compris le poste qu’occupe mon père)
Demi-pensionnaire ou externe ? (demi-pensionnaire, si je suis externe je rate tous les ragots du collège et j’ai bien les boules quand je reviens à 14 heures)
Quels métiers voulez-vous faire plus tard ? (journaliste, et pas la rubrique chiens écrasés de la Nouvelle République s’il te plait)
Vous parlez déjà espagnol ? (un petit peu, j’ai « Clandestino » à la maison)
Etes-vous dans la chorale ? (sérieusement, j’ai déjà assez d’handicaps physiques, on va y aller mollo)
Avez vous pris latin ? (je vais pas prendre toutes les options non plus, je suis pas une berline)
Quel est votre adresse ? (4 avenue honoré de balzac, toi meme tu sais)
Qu’avez-vous lu cet été ? ( allez je mets « Le petit prince », ça marche tous les ans)
La sonnette de la liberté finit enfin par retentir.
Je ne sais pas si je suis soulagée ou si j’ai envie de crever. Après un tour visuel complet, il n’y a personne à sauver dans ma classe, la prof est hystérique et Sandra encore plus déprimée que d’habitude avec ses histoires morbides bonnes pour une émission de Jacques Pradel.
C’est bon, je le sens, l’année scolaire est pliée, rien de tout cela ne ressemblera un jour à un épisode de Sauvés par le Gong, plutôt à une rediffusion de strip-tease sans les mecs qui font du tuning. J’ai bien vérifié plusieurs fois, personne n’est aussi bien coiffé que Mark-Paul Gosselaar et il fait déjà un peu moche et froid en Touraine, alors va te balader avec le nombril à l’air, en plus je suis tout boudinée dans mon jean, ça serait trop pas joli.
Tout me fait déjà super chier et j’aurais presque envie de le hurler et de le taguer sur les murs, tellement cette année s’annonce difficile. Malheureusement je ne sais pas utiliser une bombe de peinture et j’ai trop peur d’avoir un mot dans mon nouveau carnet, alors je la ferme et je ronge mon frein en me levant lourdement de ma chaise.
Moi qui adore me poser dans la cour et voir tout le monde s’affairer comme des petites fourmis de Bernard Weber (mon auteur préféré), j’ai envie pour une fois de passer mon tour, et de rester dans un coin de la classe de Madame Cariou pour lui parler vêtements et coordination des couleurs comme le fait que l’album de Manu Chao est vraiment super bien.
Je me fais pourtant vite foutre dehors, ayant comme tous les blaireaux de 13 ans mon rôle à jouer dans la pièce de théâtre ennuyeuse qui se joue dans la cour du collège.
Le pas aussi lourd que les plateformes boots que je portais en sixième (les mêmes que les Spice Girls, d’un très beau bleu pétrole, que je mettais avec un caleçon marron à rayures, j’en ai encore des spasmes de honte quand j’y pense), je sors la dernière de la salle. Sandra est partie depuis longtemps maintenant, elle aimerait voir si elle a réussi à convaincre son voisin de s’afficher comme un couple pour cette rentrée de septembre. Vu comme le mec est drôlement con, j’en doute, mais comme j’ai peur qu’il me tape aidé de ses potes de 34 ans qui sont toujours en troisième (sérieusement, arrêtez les mecs, quand vous avez redoublé trois fois, faut laisser tomber et passer à autre chose), je préfère ne rien dire et faire mon étonnée quand elle me fera part de sa déception.
Je pensais être tranquille dans les bâtiments du collège mais non. Avec son sac qu’il ne porte que d’une anse, V m’attend patiemment à la fin du couloir, avec les deux crétins qui servent de spectateurs à ses commentaires affligeants.
- Ça commence bien cette rentrée. J’ai failli me faire engueuler par ta faute Marine !
- “T’avais qu’à pas te retourner et me laisser tranquille, comme tu le faisais l’année dernière.
- Alors que toi, tu étais assis juste derrière moi ? Comment tu voulais que je résiste?
- Très drôle.
- Oh fais pas la tête, tu sais que t’es moche quand tu fais la tête. Déjà que bon..
- OH BON ÇA VA TU VEUX QUOI
Les deux crétins gloussent.
- T’énerves pas han t’as tes règles ou quoi ?
Les deux crétins regloussent. Il les regarde et repenche ses yeux azur sur ma silhouette swaggé.
- Je voulais juste savoir, tu continues le caté cette année ?
- Alors déjà ça te regarde PAS DU TOUT
- Allez, fais pas chier.
- Evidemment, je vais pas arrêter comme ça t’es malade, c’est bientôt ma profession de foi. Mais qu’est ce que ça peut te faire de toute manière, tu es une année au dessus.
- Ma mère préfère que je traine avec les gens qui sont dans ma classe : je serai dans ton groupe cette fois-ci.
- MAIS QU’EST CE QUE J’AI FAIT AU SEIGNEUR PUTAIN
- Bah on pourra lui demander mercredi, tu seras bien au presbytère de 11h à 12h non ?
- Pitié non.
- Attention c’est pas joli dans ta bouche Marine le blasphème. Pense à Dieu tout ça.
J’ai pas de répartie. Il n’y a que “nianiania” qui passe en boucle, mais je sais que ça ne servirait à rien. Il enchaine, infatiguable, c’est le Juan Carlos Ferrero de la discussion (oh si tu savais comme je t’aime Juan Carlos, j’achète Tennis Magazine rien que pour toi), je me reprends toujours un vieux commentaire dans la face alors que j’ai rien demandé. Il constate mon désarroi, donc enchaine
- J’ai hâte de passer mon mercredi matin avec toi en tout cas.
- Mais qu’est ce que tu me veux à la fin ?
- Je sais pas, je trouve qu’il y a quelque chose de changé chez toi.
Mon regard change instantanément, et je me surprends à passer la main dans les cheveux. C’est comme ça que Laura, la plus belle meuf de collège, envoûte les mecs qui l’attendent à la sortie du gymnase après les cours d’EPS. Il s’ensuit souvent un bref échange, et elle finit par leur taper dans l’épaule en disant “han t’es vraiment trop con”. Ça marche à tous les coups. Je ne tenterai pas de le frapper : je suis gaulée comme une armoire lorraine, il y a un risque que je ne préfère pas prendre que je lui fasse mal. Je balbutie, un peu flattée comme on peut l’être à treize ans par ce genre de commentaire
- Heu ah oui ? Quoi ?
- Tu as de plus gros seins. C’est pas énorme, mais je salue l’effort.
Les deux sbires commencent vraiment à rigoler comme des porcs qui n’auraient pas mué. Des truies en fait. Je me demande intérieurement ce que j’attendais de cette conversation, et je finis par tracer ma route en lui rentrant de face dans l’épaule
- T’es vraiment trop con.
Mais pas de la façon mignonne de Laura. Il m’attrape par le bras et me coupe dans mon élan. Un peu déstabilisée, je me retourne pour lui faire face, les yeux un peu rougis par la haine. Il semble surpris et quelques secondes s’écoulent avant qu’il ne s’approche de mon oreille à peine piercée (j’ai une puce “peace” et sur l’autre oreille “love”) pour susurrer
- Non, mais ne te met pas dans un état pareil. J’ai pas envie de me fâcher avec toi toute l’année. Et tu auras déjà bien à faire avec le groupe de conasses qui te servaient de copines. Je crois d’ailleurs qu’elles t’attendent dans la cour.