“ET BEN C’EST FINI SALOPE”

Le mot était lâché, comme un vilain prout que tu essaies de dissimuler au rayon des céréales au Franprix.

Charlotte les yeux rougis par les larmes avait claqué la porte du bar en laissant son Ricard, sous les yeux dubitatifs de toute la scène expé/indé/nianiania parisienne, tandis que Mariette lui courrait après, en essayant de concilier les deux parties. Dans ma robe dégueu achetée a 2 euros à Emmaus, campée sur mes positions, je constatais un peu désolée les petits bouts de la gerbe de ma haine devant des inconnus, un peu surprise de ma vulgarité (Maman, pardon), et soulagée pourtant d’un poids.

Ce n’était pas fini pourtant. J’en avais gros sur la patate. Il fallait que je sorte moi aussi finir de m’expliquer sur le trottoir et que je finisse de couvrir les filles de mon EX-GROUPE de toute ma haine et ma frustration, j’avais mal à mon égo, mon gros égo tout dégueu, aussi gros que mon derrière après les fêtes.

Charlotte nous contacte deux semaines avant un concert. Elle a besoin de nous pour assurer les chœurs, c’est une des premières fois où elle joue toute seule et elle flippe. Dans son set des morceaux à elle, des reprises, et puis une ou deux chansons à nous, comme un petit présent qu’elle nous offre. C’est gentil. On répète chez elle, on est pas Pussy Patrol mais Charlene Darling and the periods Girls, un nom choupi dégueu tout comme nous. J’ai choisi pour ma part d’interpréter Funnel of Love de Wanda Jackson, j’aime beaucoup cette chanson, tu verrais, je chante du nez, c’est pitoyable mais je le sais pas encore, pour l’instant je ferme les yeux et je m’imagine devant Phil Spector, la peur de mourir en moins.

TG Gondard (à écouter si tu le fais pas déjà) qui nous a invité, nous annonce que c’est à nous. Charlotte monte et prend sa petite voix si fragile, interprétation brillante de ces morceaux, Mariette joue de la guitare, prêtresse folk, et ses longs cheveux ondulent sur une mélodie qui brise le coeur. Le dernier, une reprise de Hounds of Love de Kate Bush,

est superbement interprétée par nous trois, on dirait les jeunes puceaux des choristes mais avec des boobs (enfin tout le monde sauf Charlotte quoi), on a même Hélène qui est venue faire du violon, ça en jette un max. D’un coup TG nous fait des signes, il faut qu’on arrête, il y a pas mal de groupes derrière nous, c’est bien hein, mais on a pas le temps, ça fait 45 minutes.

Okay okay.

MAIS ATTEND ET MON FUNNEL OF LOVE PUTAIN ?

Les filles rangent leur matos et sourient, ravies du travail accompli, c’était chouette hein.

ET MON FUNNEL OF LOVE PUTAIN ?

On part boire une bière après avoir planqué nos affaires

ET MON FUNNEL OF LOVE PUTAIN DE MERDE ?

Je dis rien.

Marine, atteinte de diarrhée verbale, se retrouve constipée de la bouche d’un coup. Toi aussi lecteur tu sais que ça sent le sapin.Charlotte s’en doute, et commet l’irréparable.

- Bah alors qu’est ce qu’il y a t’as un probl-ET MON FUNNEL OF LOVE PUTAIN DE MERDE ? PUTAIN VOUS AVEZ JOUÉ TOUS VOS MORCEAUX ET MOI J’AI RIEN FAIT J’AI SERVI A RIEN PUTAIN J’ÉTAIS COMME ÇA COMME UNE PAUVRE CONNE EN FAIT IL VOUS FALLAIT JUSTE QUELQU’UN AU SYNTHÉ VOUS EN AVIEZ RIEN A FOUTRE J’AURAIS PAS ÉTÉ LA C’EST PAREIL HEIN ALORS CA SUPER ON DIT OUAIS MARINE TU POURRAS FAIRE UN MORCEAU ET J’AI RIEN JOUÉ J’AI RIEN JOUÉ MERDE JE SUIS SUPER TRISTE PUTAIN YEN AVAIT QUE POUR VOUS ALORS CA C’EST SUR VOUS AVIEZ LA CLASSE ET VOUS VOUS ÊTES UN PEU DEMANDÉES MOI CE QUE JE FOUTAIS LA

D’un coup les regards se tournent, les gens venus nous dire que c’était joli

“non c’était joli vraiment”

s’écartent

Et nous voilà à trois au fond, pendant qu’un mec dont j’ai oublié le nom fait des drones, à hurler comme des truies, scandalisées par nos propos à chacune,

-C’EST MON CONCERT C’EST DÉJÀ COOL DE VOUS AVOIR INVITÉES

explosion de haine

,-NON MAIS POUR QUI TU TE PRENDS

On se crie dessus comme des merdes

-TU N’AS PAS A ME PARLER COMME ÇA C’EST ABUSÉ

Mariette essaie de nous calmer, mais même ses prises de position n’ont aucun effet, nous avons réveillé les monstres,

MARIN-ÉGONATOR ET CHARLEN-EGONATOR DANS LEUR ULTIME COMBAT

Et là, elles me saoulent tellement que je veux plus jamais les voir, je veux plus jouer avec elles, fini Pussy Patrol, je les déteste, ces sales putes de merde égocentriques (pauvre poupette privée de sa chanson avec laquelle elle aurait montrer au monde qu’elle était la prochaine Whitney Houston en moins camée)

“ET BEN C’EST FINI SALOPE”

Et le silence se fait.

On se retrouve dehors, poussées gentillement par des mecs qui en ont ras le bol de voir la guerre de la chatte au milieu de leurs concerts, c’était marrant trente secondes maintenant allez un peu prendre l’air

Sur le trottoir, devant une pizzeria de Pantin avec son livreur qui essaie de nous calmer (et de récupérer son scooter devant lequel on couine),

« Faut pas s’énerver les filles »,

La crise s’envenime et je finis par chialer.

Manue, morte de rire, prend des photos en essayant de nous faire baisser un peu le volume, on monte facilement dans les aigus, les voix tremblent

Puis finissent par se briser dans un sanglot qui nous unit dans un gros calin interminable

Sans aucune raison logique, on s’est mal comprises depuis le début alors, faut pas s’énerver on s’aime tellement, c’est douloureux ce qu’on se dit

Pardonpardon

Je voulais l’écouter moi ta version de Funnel of Love

Ils étaient superbes vos morceaux, vraiment, vous êtes superbes, c’est beau et c’est vrai, c’est des vraies chansons qui touchent, je suis pas capable de faire ça alors je suis jalouse je crois

On pleure.

Quelquefois tu aimes les gens tellement fort que ça fait mal

Quelquefois tu fréquentes trop les mêmes filles et vous avez vos règles en même temps.