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jeudi, 22 décembre 2016

Treize 12 : Best Friends Forever

Par
illustration

Treize est un roman feuilleton qui débute ici

Si vous suivez tout comme des gens classos, le dernier épisode est là

En fait je crois que ça ne servirait à rien d’essayer de comprendre ce qui se passe actuellement dans mon petit cœur en formation. C’est bête, je pensais qu’on était tous -au moins- maîtres de ses émotions mais il n’en est rien. Aux commandes de mon corps en rénovation ce sont des vagues d’hormones qui pilotent, et ces grosses abruties mériteraient un autocollant A sur leur petit derrière de conducteur inexpérimenté.

Alors que je détestais auparavant V. de tout mon être, son souffle poussé devant le cours de cathé un peu trop près de mon visage à l’acné fluctuante a fait disparaître tout sentiment haineux. Chamboulée comme on peut l’être seulement à treize ans, quand tu ne rêves que de ta main moite et boudinée dans la main moite et boudinée de quelqu’un d’autre, je réalise subitement que sa présence ne me donne plus envie de me cogner la tête contre les murs.

Pire.

Je me surprends les jours qui suivent à glousser quand il est présent,

et non, ses blagues ne sont pas mieux maintenant.

Mes mains dans mes cheveux protégés par le sébum, mon regard a du mal à se concentrer sur autre chose que son visage d’apollon à peine pubère. Pas sur les maths, pas sur la SVT, encore moins sur mes cours de section européenne, je mâchonne mon stylo parfumé à la fraise en rêvant d’amourette au bord de la Loire, de baisers enflammés sur le banc face à l’hôtel de ville, de pelotage devant Scream 2 quand on les regarde pendant des boums des copains.

Je sais que ça n’arrivera pas néanmoins. Un manque de confiance en moi, la peur de mélanger ma salive avec celle de quelqu’un d’autre et de mal faire, peut-être même le mordre, qui sait, me stoppe dans ma course sentimentale et me pousse à prendre un rôle que je maîtrise des bouts des doigts.

La bonne copine.

Toujours le bon mot et le petit coup de coude pour appuyer ma vanne, je pousse ma personnalité à son paroxysme d’amitié que seul un bracelet brésilien pourrait dépasser. J’essaie de trainer avec lui

Mais pas trop quand même,

J’essaie de rire à ses blagues

Mais pas trop quand même,

J’essaie d’être présente tout le temps toujours qu’il ne voit que moi,

Mais pas trop quand même.

Et bizarrement, cela commence à fonctionner. Je commence à tisser des liens sérieux avec lui pour mon plus grand plaisir. Est-ce qu’il me choisit (et pas dans les dernières) pour jouer dans son équipe de volley ?

OUAIS MADAME

Est-ce que quand il a besoin de quelqu’un pour son TP de chimie il me demande à moi et pas à l’autre fille pas trop bête et nunuche de la classe ?

OUAIS MADAME

Est-ce que quelque fois il me parle pendant la récré et ce n’est même pas pour se foutre de ma poire ou de celles de mes copines, genre on échange des avis sur le monde la vie et tout ?

OUAIS MADAME

Si ça ça ne ressemble pas à la plus belle amitié qui peut on sait jamais sur une erreur ou une soirée trop enivrée au panaché dériver sur un gros roulage de pelles, perso, je sais pas ce qu’il faut.

Et tandis que je joue mon rôle à la perfection, me formant sans que je le sache à des années d’amour unilatéral et platonique, je commence à m’attacher.

Il ne se doute de rien, continuant à me toper dans l’épaule comme si on avait élevé les cochons ensemble

(mais tu sais V. j’élèverai n’importe quoi n’importe où avec toi, des courgettes dans la Drôme ou des enfants dans le Pas de Calais je te jure je m’en tamponne)

A me balancer parfois des messages de son compte AOL quand il a pas niqué toutes les heures du forfait de sa mère

(LE BRUIT DE MON CŒUR QUI BAT FAIT ENCORE PLUS DE BRUIT QUE LA CONNEXION DE NOS MODEMS)

Et là, perso, je commence à m’emballer encore plus fort qu’un cadeau la veille de Noël. Suivant aveuglement mes nouveaux potes les petits papillons dans le ventre, je nous vois déjà amants maudits (par qui ? On ne sait pas, mais ça fait tellement plus classe) finir nos années collège les yeux dans les yeux bleus.

Bizarrement, tout le mois de décembre je le sens plus câlin, un peu comme un bébé chien. Il me serre parfois dans ses bras

WUUUUUUUUT

M’a remis deux fois la mèche que j’avais dans les yeux derrière l’oreille (je peux donner les jours, je les ai consigné dans mon journal intime, JE M’EN FOUS SI TU TOMBES DESSUS MAMAN OKAY ? JE L’AIME)

Et je commence à voir que mes regards insistants sur sa nuque sont aussi devenus des regards insistants sur la mienne.

Parfois il fait même des blagues sur genre on irait trop bien ensemble

MAIS MOI JE LE SAIS QU’ON EST FAIT POUR S’AIMER, JE VEUX BIEN RIGOLER POUR FAIRE GENRE MAIS TU LE SAIS QU’IL SE PASSE UN TRUC FORT ET QU’ON VEUT PAS SE LE DIRE PARCE QUE ÇA NOUS DÉPASSE

Et là, le vendredi juste avant qu’on parte tous en vacances, alors que plus rien ne me passionne à part le petit surfer qui ride sur ses sweats Oxbow, il me coince à la pause déjeuner, toute seule, alors que Sandra est partie rouler des palots à un nouveau tandis que je digère le cordon bleu de la cantine. Sans introduction ni rien, il m’annonce

« Il faut qu’on parle, tu peux m’attendre à 17h ?»

AH PUTAIN SI J’ARRIVE EN RETARD À LA MAISON MA MÈRE VA ME DÉFONCER MAIS JE M’EN FOUS JE VEUX T’AIMER DE TOUT MON ÊTRE

« Heu ouais okay bah euh pas de problème »

Il part ensuite dans l’autre sens, comme si il venait de me filer des liasses de billets de 500 francs dans deux petites malettes.

Je passe les cinq heures suivantes tétanisée sur ma chaise. Même Sandra qui lit souvent en moi comme dans un livre ouvert (elle avait deviné quand j’ai eu mes règles) n’arrivera pas à faire naître autre chose sur mon visage que la torpeur qui m’habite actuellement.

La dernière sonnerie résonne. J’ai du mal à respirer. Je me demande si je dois tracer en courant ou me confronter à l’éclat de son appareil dentaire, comme le ferait toute personne sensée. Accélérant un peu mon pas à la sortie, en espérant faire l’étonnée en janvier quand il me parlera du fait que l’on ne s’est pas croisés le dernier jour alors qu’il m’avait filé un rencard, je me fige quand je vois sa veste adidas m’attendre près du gymnase.

Bordel.

Il faut donc marcher en sa direction. Ma voix tremble, je suis en train de fondre de l’intérieur, une véritable liquéfaction qui me donne la gerbe. Après m’être posée face à lui pour assister à ce silence tellement lourd que je préférerai me prendre dans la poire la pierre énorme que roule Sisyphe plutôt que de rester plantée devant lui dans le froid, j’essaie de me concentrer sur autre chose. Par exemple, mon souffle inquiet forme des nuages gris dans le ciel de Fondettes, tandis que sa respiration est plus blanche. Il fait tellement froid j’ai tellement peur il veut pas accoucher de ce qu’il avait à me dire je vais mourir de stress ? Il finit par relever ses yeux auparavant baissés sur ses baskets et, l’air triste, alors que je m’apprête à me faire cueillir par la mort d’une belle crise cardiaque, il murmure en direction du sol

Marine,

Je crois bien que je suis amoureux.

hop hop la suite

Marine

Leader Autoritaire
Marine est née en 1986 et vit avec un petit chien trop mignon. Après avoir joué avec des groupes de filles ultra classes d'après les autres membres (Pussy Patrol/Secretariat/Mercredi Equitation), elle gagne sa vie en écrivant sur des sujets cools et se la pète déjà un peu. Ca ne l'empêche pas de traîner en pijama dégueulasse le dimanche en essayant de twerker mal sur du William Sheller. L'AMOUR PROPRE C'EST DÉMODÉ OKAY.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com